10 questions sur saint Josémaria posées à mgr Xavier Echevarria

Saint Josémaria, ne s'est-il jamais lassé de servir Dieu? Comment réagissait-il devant ses erreurs et devant les difficultés? Quel était son secret pour être toujours fidèle et amoureux de Dieu? Mgr Xavier Echevarria, qui vécut près de lui pendant plus de vingt ans, répond à ces questions.

Mgr Xavier Echevarria, mgr Álvaro del Portillo et Saint Josémaria à Rome en 1966.

Mgr Xavier Echevarría fut très près de saint Josémaria à partir de 1950. Cette relation s’affermit par la suite, en 1956, lorsqu’il fut élu Custos du fondateur de l’Opus Dei c’est-à-dire l’une des deux personnes qui, en accord avec les Statuts de l’Opus Dei, sont tenus d’aider le Père en sa vie matérielle et spirituelle, dans son travail quotidien, et lui faire les remarques opportunes.

1. Saint Josémaria (qui) a été un précurseur du concile Vatican II en rappelant, depuis 1928, que nous sommes tous appelés par Dieu à être saints, comment répondait-il dans sa vie personnelle à cet appel de Dieu ?

Il ne s’est jamais lassé de lutter pour se rapprocher de plus en plus du Seigneur en luttant contre les plus petits défauts et en se montrant exigeant envers lui-même avec le zèle d’un amoureux qui veut répondre de tout son amour à Celui qu’il aime. Et ce, tous les jours, dans ce qui est difficile, dans ce qui est facile, dans les tâches importantes et dans celles qui semblent banales. Ayant vécu près de lui durant presque vingt ans, je puis assurer qu’il a toujours été reconnaissant envers nous lorsque nous lui faisions des suggestions ou des commentaires.

« La sainteté, nous disait-il, consiste à lutter constamment contre les défauts personnels. C’est accomplir le devoir de chaque instant sans se chercher des excuses. La sainteté c’est servir les autres, sans chercher la moindre compensation. La sainteté c’est chercher la présence de Dieu, la relation constante avec Lui, grâce à la prière et au travail, fondus dans un dialogue persévérant avec le Seigneur. La sainteté c’est le zèle pour les âmes qui porte à l’oubli de soi. La sainteté c’est la réponse positive de chaque instant dans notre rencontre personnelle avec Dieu ».

Saint Josémaria et mgr Alvaro del Portillo, dans une réunion avec des jeunes filles à "Villa delle Rose" (Castelgandolfo, Italie)

Il luttait pour mettre en pratique ce dont il parlait. Jusqu’au dernier jour de sa vie, il a demandé à ses deux fils Custodes — nous étions tout près de lui— de l’aider à être plus pieux, plus joyeux, plus optimiste, à accomplir son devoir avec exactitude, à mieux endurer la maladie, à travailler sans relâche, à se livrer complètement. Je puis donc assurer objectivement qu’il n’a jamais consciemment dit non au Seigneur et qu’il n’a jamais répondu à moitié aux requêtes divines.

2. Pouvez-vous décrire sommairement quelques aspects du combat qu’il menait pour améliorer son caractère ? Cela aidera nos lecteurs

à comprendre comment il était.

Pour ce qui est de ses défauts, il devait être très attentif à la rapidité et à la spontanéité de son caractère, faire attention à l’indignation qui le prenait quand il considérait que les choses étaient mal faites ou pas aussi bien que prévu.

Ces traits de caractère qui auraient pu devenir des défauts de taille lui servirent de point d’appui pour enrichir sa personnalité et devinrent des fondements pour la fermeté dont il eut besoin par la suite pour faire face à ce que le Seigneur lui réservait : l’impatience devint de la sainte audace et le tempérament impulsif, une exigence envers lui-même et une compréhension des autres.

À Barcelone, en novembre 1972

Il nous confiait très souvent ce qu’il avait au fond de son âme : « Je vous demande pardon pour tout ce que je vous ai dérangé chacun de vous. Je vous assure, et c’est mon intention constante, que je ne veux jamais, à bon escient, mortifier qui que ce soit avec ma façon d’être. Ceci dit, j’insiste, je vous demande pardon au cas où ma façon d’être ou d’agir aurait dérangé quelqu’un. »

Il ne se laissait pas emporter par son moi personnel, il maîtrisait les primo primi (les sautes d’humeur), et s’efforçait de parler et d’agir avec droiture d’intention, au service du Seigneur et des âmes.

Il ne cessait de nous demander de l’aider. Je l’ai vu lutter contre ces fils subtils qui deviennent des attaches qui nous écartent de Dieu si on ne les coupe pas à temps. Il a su atteindre une sereine équanimité et l’extraordinaire vitalité de son tempérament fut toujours modérée par la prudence et la force.

3. Comment réagissait-il devant ses erreurs ?

Dès qu’il prenait conscience de ses erreurs, il réagissait avec une douleur d’amour tout en s’appuyant encore plus sur la grâce. Il disait souvent : « Je ne suis rien, je n’ai rien, je ne peux rien, je ne vaux rien, rien, rien ! mais avec Lui je puis tout : omnia possum in eo qui me confortat [Je puis tous en celui qui me rend fort, Ph. 4, 13] ».

Je crois qu’il apprit à beaucoup d’âmes à surmonter leurs complexes, les tristesses, les angoisses, les désertions dans la lutte spirituelle parce qu’il leur montrait que le Seigneur leur avait donné la vie, avec ces faiblesses-là, et qu’en même temps il les appelait à se sanctifier. Aussi, avec Lui, ils étaient en mesure de tout faire.

« Nos forces personnelles, disait-il, n’ont qu’un seul nom : faiblesse. J’ai l’expérience de toute ma vie. Nous ne serons forts que lorsque nous serons bien conscients de notre faiblesse. Si nous pensions que nous sommes forts par nous-mêmes, nous plongerions tout de suite, la tête la première, dans le plus puant des fumiers».

Il se servait des mots de l’Évangile : ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin d’un médecin, mais les malades (Math. 9, 12 et avouait à un moment donné : « Ça a été ma prière constante durant toute la journée : Seigneur, me voici, je suis un malade chronique et j’ai besoin de toi ! »

J’ai profondément enregistré la demande qu’il me fit en 1950, alors que j’avais vingt ans à peine. Dans la spontanéité d’un amoureux, il m’avoua : « aujourd’hui je souffre de mon manque de piété : aide-moi à réparer. Cet empressement me toucha profondément parce que je connaissais bien l’effort qu’il faisait pour être très pieux ».

4. Était-il fatigué de lutter pour devenir meilleur, pour mieux servir les autres ?

«Si nous avons cherché sa gloire, nous ne sommes jamais en échec devant le Seigneur »

Il se disait très souvent qu’une mère, qu’un père, sont aux petits soins avec leurs enfants, même à la fin de la journée, quand ils sont épuisés. Il se servait de cet exemple pour sa vie, pour surmonter la fatigue, sans se laisser emporter par ses aises.

En 1968, je l’ai entendu dire : « En ces quarante ans, chaque fois que j’ai été crevé, fatigué, j’ai prié plein de confiance : Jésus, Seigneur, je me repose en Toi ! Ma Mère, Sainte Marie, je me repose en Toi ! » Devant ce qui lui était pénible, il disait : « Seigneur, que vas-tu me donner après m’avoir tant demandé ! ». À un moment donné, il nous avouait : « J’aimerais vous dire combien de fois je me suis trouvé tout seul entre le Ciel et la terre. Je devais m’accrocher à la prière. J’ai passé de longues années accroché à Dieu, tout seul, en souffrant, mais plein d’espérance. J’ai passé de longues années ainsi : et tuus calix uberrimus, quam praeclarus est! Il ne fallait pas rejeter ce calice que m’offrait Dieu Notre Père ».

5. N’a-t-il jamais eu des doutes de foi, de persévérance, a-t-il été emporté par la tristesse devant les difficultés ?

Il n’a jamais douté ni de Dieu ni de ses vérités. C’est bien là qu’il a trouvé la force pour pratiquer toujours sa foi avec une conviction de plus en plus grande, en dépit d’un corps fatigué, du poids harassant du travail : « Dieu, disait-il très souvent, ne peut jamais me laisser tomber ».

Il me disait très souvent qu’il croyait profondément en la Très Sainte Trinité et en toutes les vérités révélées par Dieu.

Le Seigneur « veut que nous l’entourions toujours, quand il fait froid et quant il fait chaud, quand nous sommes bien-portants et quand nous sommes malades, quand nous en avons envie et quand nous n’en avons pas : il ne se lasse jamais de nous, ni de nous écouter et il nous accueille sans cesse».

Face à la tentation de la fatigue qui peut nous faire défaillir, il s’épanchait en 1966 : « Je suis triste à l’idée que d’aucuns quittent le front sous prétexte d’être fatigués. Je comprends que la fatigue fasse surface, je travaille depuis très longtemps à rebrousse-poil, mais alors, on en parle, sans baisser préalablement la garde. L’insistance de la prière et du travail, quoiqu’il en coûte, est une offrande que Dieu attend de nous. De même qu’il attend que nous ne nous attristions pas, que nous ne partions pas bredouilles, quand nous avons échoué, quand nous avons échoué —humainement parlant, j’entends—, car devant le Seigneur nous ne sommes jamais en échec si nous avons recherché sa gloire.

Le moment est arrivé de se dire que parfois les plans divins ne coïncident pas avec les nôtres. Nous ne pouvons jamais devenir tristes. Devant des résultats adverses, notre générosité doit grandir pour la bonne raison que notre vie est une vie d’amour.

À Roma, 1973

« Sur terre, nous disait-il, nous ne pouvons jamais jouir de la tranquillité des pantouflards qui se laissent aller en pensant que leur avenir est assuré. Notre avenir, celui de tous, est incertain, dans ce sens que nous pouvons trahir Notre Seigneur, que nous pouvons être défaillants dans notre vocation ou abandonner la foi. Aussi, devons-nous tous les jours prendre la résolution de lutter sans cesse ».

6. Que était son secret pour être cet amoureux fidèle de Dieu, dont parlent tant de gens?

Il n’a jamais cessé de chercher l’amitié et le dialogue confiant avec Dieu, même à des périodes de travail intense ou de fortes souffrances.

En Espagne, en octobre 1968. Saint Josémaria tâchait d’être de plus en plus pieux chaque jour, spécialement à la Sainte Messe

En 1969, il nous avoua, à don Alvaro del Portillo et à moi-même : « Hier soir j’étais très fatigué, je suis allé prier. J’ai passé un moment à l’oratoire à dire au Seigneur : Seigneur, me voici comme le chien fidèle aux pieds de son maître ; je n’ai même pas la force de te dire ‘je t’aime’. Tu ne le sais que trop ! Je lui dis aussi : me voici comme la sentinelle vigilante à son poste, pour te donner tout ce que j’ai même si ce n’est pas grand chose ».

Il avait recours à la prière dans l’assurance que Dieu Notre Seigneur ferait que cette éventuelle aridité devienne un secours pour le travail apostolique de l’Église : « Il n’attend pas de jolis mots, des prières tonitruantes. Il tient à ce que nous l’entourions toujours, quand il fait froid et quant il fait chaud, quand nous sommes bien-portants et quand nous sommes malades, quand nous en avons envie et quand nous n’en avons pas : il ne se lasse jamais de nous, ni de nous écouter et il nous accueille sans cesse».

7. Alors, a-t-il eu parfois du mal à prier, des moments d’aridité où il n’a pas senti Dieu près de lui ?

Le 26 novembre 1970, il me disait : «Hier je n’ai même pas pu dire deux Ave de suite, si tu savais ce que j’en ai souffert ! Mais, comme toujours, malgré l’effort et ma maladresse, j’ai poursuivi ma prière : Seigneur, aide-moi ! lui disais-je, c’est bien Toi qui doit faire avancer les grandes choses que tu m’as confiées, tu vois bien que je ne suis même pas capable de réaliser les plus petites choses : comme toujours, je me mets entre tes mains ».

En novembre de cette année-là, il se livrait aux membres du Conseil Général de l’Opus Dei : « Sec, mes enfants ! voilà mon état actuel.

Je Seigneur me soutient, moi, qui ne suis qu’un sac d’immondices. Je cherche continuellement l’union à Dieu et le Seigneur m’accorde une grande paix et une grande sérénité : mais je me sens sec à la prière, aussi à la prière vocale. Il y a des jours où je n’arrive même pas à fixer mon esprit dans un Avémaria : je me distrais tout de suite.

Mais je m’acharne et je continue de lutter toujours : je n’arrête jamais de prier tout ce que je dois prier. Je prie, je prie toujours : je tâche de tout faire avec amour, en tirant profit des circonstances où je me trouve. Maintenant même, je prends la résolution de bien dire mon Rosaire ce soir. Pourquoi est-ce que je vous en parle ? Parce que j’ai besoin de vous le dire. Je ne vous parle jamais de ce qui pourrait vous faire du mal. Je sais que ce que je viens de vous avouer de mon état va vous aider. En effet, vous aussi, ou certains parmi vous, vous pouvez un jour vous trouver dans l’état de sécheresse que je traverse maintenant. Alors, le moment est venu de toujours prier en ayant recours à la prière mentale et à la prière vocale comme lorsqu’on y trouve plus de facilité ».

8. Comment le jeune Josémaria choisit-il de devenir prêtre ?

Je l’ai très souvent entendu raconter comment, à quinze ou seize ans, il pressentit son appel au service du Seigneur en devenant prêtre. À partir de ce moment-là, il comprit profondément que Dieu veillait constamment sur lui et son âme fut saisie d’une inquiétude surnaturelle : le chercher, le regarder, le fréquenter, l’aimer toujours davantage. Quand il parlait de cet amour qui le saisit au fond de tout son être, il avouait tout naturellement qu’il s’agissait de « son premier et unique amour » qui n’avait fait que croître, sans qu’il ne s’habitue ni ne s’en lasse. Sa décision de devenir prêtre était donc fondée uniquement et exclusivement sur le désir d’accomplir la Volonté du Seigneur en ce qu’il lui demandait et qu’il ne lui avait pas concrétisé au départ. Il se disait, avec une conviction forte et profonde, que s’il devenait prêtre il serait plus à même d’écouter la voix de Dieu.

Il accueillit cet appel avec un optimisme à toute épreuve. Il n’intégra pas le Séminaire avec une mentalité de victime, en pensant qu’il se livrait à un renoncement héroïque. Il n’ignorait pas les sacrifices que cela entraînait, ni ce que sa famille allait souffrir en voyant qu’il renonçait aux projets qu’ils avaient fait pour son avenir. Or aucune de ces considérations ne fut un obstacle à sa disponibilité pour faire la Volonté de Dieu.

9. Pouvez-vous nous parler encore de ce premier et unique amour de saint Josémaria ?

J’étais toujours surpris par l’amour grandissant qui le faisait vivre au jour le jour et qui se reflétait dans son amitié avec le Seigneur.

On comprend qu’il ait pu dire qu’il se sentait très jeune, « avec la jeunesse de Dieu » parce que cet amour ardent d’un jeune qui ne tient pas compte des obstacles pour être près de l’être aimé était évident.

Très souvent, à la fin de la journée, il nous confiait, à don Alvaro del Portillo et à moi, qu’il était persuadé qu’il avait fait le meilleur des choix et qu’il voulait l’affermir avec le don total de sa pauvre personne, même s’il était physiquement démoli, comme ce fut le cas à la fin de sa vie. « Je vous assure, nous avouait-il alors, qu’en moi l’amour devient de plus en plus fort parce que je suis toujours aussi convaincu qu’au départ qu’Il mérite tout ».

Il avait souvent recours à un dicton espagnol : « l’amour paie l’amour de retour ». Il l’appliquait à sa façon d’être toujours prêt pour Dieu, à tout instant, sans ménagements. En 1966, il en parlait : « Si je peux dire quelque chose de vrai sur moi-même, c’est que je n’ai jamais fait ma volonté, ce qu’il m’aurait plu de faire. En tout état de cause, si cela n’avait tenu qu’à moi, en ce moment je serais un avocat, un historien, etc. ; mais pas du tout un prêtre de l’Opus Dei. Et cependant, je suis plus heureux que quiconque en n’ayant fait qu’accomplir la Volonté de Dieu, parce que cela me chante, en ayant répondu à son Amour. Aussi, je ne me sens pas ligoté : j’ai la pleine et totale liberté de l’Amour de Dieu ».

10. Quand il parle de l’Opus Dei, saint Josémaria dit que Dieu le lui fit voir. Que veut-il dire par là. Est-ce qu’il fut l’objet d’une intervention divine ?

En effet, il l’a dit de très nombreuses façons. Je pense maintenant à ce qu’il dit en parlant précisément de cet amour de Dieu : « Ces chaînes divines qui m’attachent à l’Œuvre, je les aime à la folie. Je ne veux jamais les briser, même pas m’en délier, bien que parfois (cela) ‘il) m’en coûte, cela me pèse, parce que je suis convaincu que le Seigneur m’a voulu entièrement pour Lui à travers ce chemin et l’esprit qu’il nous a donnés ».

Par ailleurs, il commentait ainsi ce texte du Livre des Proverbes : «testis fidelis non mentitur; profert autem mendacium dolosus testis [« le témoin fidèle ne ment pas ; le faux témoin ne dit que des mensonges »] : Pr 14,5], «c’est de là que découle l’efficacité de notre vie si elle est soigneusement fidèle à la Volonté de Dieu. Grâce à notre conduite, à notre réponse fidèle, nous rendons témoignage, nous faisons de l’apostolat, nous aidons les autres à la tâche de leur sanctification, en suivant le chemin que le Seigneur a tracé pour nous ».

Du livre: Memoria del beato Josemaría Escrivá, Xavier Echevarría et Salvador Bernal, Rialp, Madrid, 2000