Chemin et l’attachement à l’Église et au Pape

Voici l’étude publiée dans "Estudios sobre Camino", sur l’attachement de saint Josémaria à l’Église et au Pape.

Gonzalo Aranda, José R. Villar

Voici l’étude publiée dans "Estudios sobre Camino", sur l’attachement de saint Josémaria à l’Église et au Pape.

«Quelle joie que de pouvoir dire du tréfonds de mon âme : j’aime ma mère, la sainte Église ! » (Chemin, 518) «Merci, mon Dieu, pour l’amour du pape que tu as mis dans mon cœur » (Chemin. 573). Josémaria Escriva de Balaguer, jeune prêtre à l’époque, dévoile en ces courtes exclamations ses sentiments envers l’Église et le Pape. Le passage du temps témoigne que la correspondance fidèle de saint Josémaria ne fit que renforcer et enraciner, opere et veritate, avec des œuvres concrètes, cette semence que le Semeur Divin avait répandue dans son âme (1).Cet amour profond de l’Épouse du Christ et de son Vicaire sur la terre est déjà perceptible à l’époque dans cette explosion de joie sincère et spontanée et d’action de grâce à Dieu, montrant bien cet amour fermement enraciné dans son cœur et proclamé avec l’assurance totale de la foi.

Vue de Saint-Pierre depuis Città Leonina, première résidence de saint Josémaria à Rome, en 1946.

Chemin est le reflet de l’expérience pastorale du jeune Escriva de Balaguer, cumulée dans ses premières années d’activité sacerdotale. La nature de cet ouvrage nous suggère l’approche adéquate pour analyser de son contenu. L’auteur ne prétend pas faire de réflexion théologico-dogmatique sur les mystères de notre foi, même si, tout naturellement, ces deux préalables concernent, cela va sans dire, dans la vie chrétienne qu’il y décrit. Nous y reviendrons par la suite. En tout cas, il prétend susciter chez le lecteur, aidé de la grâce divine, des désirs de conversion, d’amour et d’amélioration spirituelle (2).

La façon dont Chemin est envisagé concerne ainsi la vie quotidienne du chrétien, les exigences de la foi appliquées à l’existence. Dans le domaine où nous nous plaçons, d’aucuns pourraient être déçus s’ils ne cherchaient que des réflexions théologiques originales sur lesquelles bâtir le début de la rénovation ecclésiologique de notre siècle, par exemple. Cette méthode serait une approche erronée qui invaliderait tout résultat éventuel (3). Nous ne voulons pas dire par là que Chemin manque d’originalité ecclésiologique, mais que son objectif n’est pas de livrer une théologie produite dans la quiétude sereine de l’étude pour avoir, par la suite une incidence dans la vie chrétienne. Il présente plutôt, et c’est là où réside sa valeur, une vie, plongée dans le vécu réel de l’existence concrète du chrétien qui peut forcer la théologie à se pencher sur certains préalables qui ne sont pas toujours complets. C’est dans ce sens que Chemin est profondément novateur avec sa pérenne nouveauté évangélique (4).

«Je vais remuer tes souvenirs pour que se dresse une pensée pouvant te toucher », dit-il à son lecteur au début. En effet, avec des expressions rapides, insinuantes, "exhortatives" et éclairantes, en tout cas, Chemin, encourage son interlocuteur à éveiller en lui les virtualités divines que le Baptême a déposées dans son être. C’est l’idée que le chrétien a été appelé à un salut personnel, certes, mais inséré dans la communauté de la nouvelle Alliance éternelle scellée par le sang rédempteur du Dieu fait Homme, qui sous-tend ses propos (5).

L’amour de l’Église et du Pape sont en Chemin comme une confidence amicale de l’auteur, un témoignage personnel.

En Chemin, les grandes réalités de notre vie dans le Christ sont évoquées pour chaque chrétien, dans un ton intime, personnel. L’auteur souhaite, avec sa plume, atteindre explicitement la vie courante, ordinaire où se déroule leur activité habituelle. C’est dans ce sens-là qu’il faut comprendre que l’amour de l’Église et du Vicaire du Christ ne soient pas assenés à coup de raisonnements théologiques où la fides quærens intellectum serait prioritaire par rapport à d’autres considérations.

Chemin cherche plutôt à éveiller la fides quæ per charitatem operatur (cf. Ga 5, 6), une foi acceptée sans hésitations, portée, par sa dynamique propre à être concrétisée dans une vie pleine de charité, d’œuvres. L’attachement à l’Église et au souverain pontife ne sont par conséquent pas l’objet d’un traitement apologétique ou d’une étude théorique qui nourrit exclusivement l’intelligence chrétienne. Chemin sous-entend que ce processus est acquis. Il s’agit, en revanche, de partager avec nos frères dans la foi, la joie de servir l’Église, la joie de la contemplation du mystère qui devient un cri de jubilation du fait de se savoir ainsi inséré dans le Christ. Bien évidemment, tout cela présuppose une théologie approfondie, faite vie, ou, si l’on veut, une existence théologale qui, sans chercher à réfléchir sur sa foi, s’exprime dans ses manifestations les plus pratiques.

La richesse séculière de la foi de l’Église se cache dans les plus simples et les plus élémentaires affirmations de Chemin. Aussi, trouverons-nous dans ce livre un lien naturel avec le patrimoine doctrinal chrétien : quod semper, quod ubique, quod ab omnibus, d’après l’expression connue de Saint Vincent de Lérins (6). Et, ajoutons-nous, non seulement avec ce qui a été cru de tout temps, mais aussi avec tout ce que les fils de l’Église ont converti en sève vivifiante de leur existence chrétienne (7).

L’auteur de Chemin laisse percer son attachement à l’Église et au Pape en une confidence amicale et avec son témoignage personnel. Saint Paul nous dit que le Christ a aimé l’Église comme son épouse, en se livrant lui-même pour la sanctifier (cf. Ep 5, 25-26). L’Apôtre dévoile aux premiers chrétiens d’Éphèse le vrai visage de l’Église : l’Épouse sanctifiée par le Christ. C’est bien le contexte de la première manifestation d’amour des membres de l’Église. En effet, la manifestation adéquate de l’amour des fils sera de refléter en leur personne le caractère saint d’une telle Mère qui les a engendrés en Christ.

Cette sainteté ontologique de l’Église qui se répand de la Tête aux membres, encourage les chrétiens à manifester en leur vie « les fruits de grâce que l’Esprit produit chez les fidèles (8). »

On pourrait ainsi se dire que tout le contenu de Chemin reflète cet amour filial envers l’Église, car il ne prétend rien d’autre que faciliter la sainteté personnelle, tout particulièrement celle de ceux qui en constituent la majorité, à savoir les membres laïcs. C’est à eux qu’il montre que le monde où ils sont bel et bien plongés, n’est pas quelque chose de circonstanciel qu’ils doivent affronter, mais la matière de leur sainteté et aussi la voie spécifique de leur chemin ecclésial. Ils assument ainsi in Christo et in Ecclesia, les réalités créées en une continuité conduisant vers le dénouement final de l’histoire, vers l’instant où le Christ cédera sa domination au Père et où Dieu sera tout en toute chose (cfr.1 Co 15, 28).

Les confidences personnelles de l’auteur de Chemin, ont donc une intention très claire, perçue à la lumière de son prologue : le lecteur doit entreprendre ainsi le chemin de la sainteté, les chemins d’une vie chrétienne conforme à sa nouvelle naissance en Christ et agir de façon cohérente avec son être nouveau, en tant que membre du Corps du Christ qu’est l’Église. Manifester son attachement pour elle, revient ainsi à parer l’Église-Mère des vertus de ses enfants.

De façon plus immédiate, tout au long du livre et surtout dans les points 517 à 527 — sous l’intitulé L’Église — l’auteur veut éveiller et consolider cet amour pour l’Épouse Immaculée : petit à petit, sont mis en relief, au bout du compte, les fondements de son amour, ses caractéristiques, ses exigences, et ses manifestations. Naturellement, tout cela n’apparaît pas de façon systématique, mais au fil des différents apartés qui conduisent le lecteur à prendre au sérieux sa vocation divine et à y répondre avec détermination. C’est à l’intérieur de cette vocation qu’émerge une dimension intrinsèque à l’existence chrétienne : il n’est pas possible d’être pleinement chrétien et catholique sans un profond amour de l’Église et du Pape.

Pour comprendre ce qu’est l’Église, il faut la contempler avec un regard que le don de la foi élève. C’est ainsi, plus qu’avec la compréhension intellectuelle, que l’on parvient à un vécu intérieur,

Toute la conduite chrétienne doit se laisser imprégner par l’amour du sentire cum Ecclesia, traduction visible de l’union féconde du sarment et de la Vigne, le Christ (cf. Ioh 15, 5) (9).

Et, le chrétien se tourne vers l’Évêque de Rome, principe visible de l’unité de l’Église, comme un critère immédiat de cette vie de communion (10).

Le fondement de l’amour de l’Église

L’amour de l’Église est en Chemin quelque chose de connaturel au chrétien. Il jaillit spontanément de la méditation sur la nature de l’Église et apparaît inséparablement uni à l’amour du Christ, inséré dans le processus de l’identification à Lui. On ne saurait séparer le Corps de la Tête, ni l’Épouse de l’Époux. La foi en Jésus-Christ contient la foi en l’Église.

a) La foi en l’Église

Concile Vatican II nous avons aujourd’hui un guide sûr pour pénétrer dans le « mystère de l’Église» à partir de la foi. En effet, l’Église est une réalité surnaturelle comprise dans le contenu de l’acte de foi. C’est ce que nous professons dans le Credo, dès les premiers Symboles. L’Église, liée à son origine dans le temps avec l’Incarnation du Verbe Rédempteur (11), recèle dans sa nature, dans son origine, dans son développement et dans sa destinée finale, le signe du mystère de Dieu, Un et Trine. C’est dans cette Église, à la fois palpable et présente dans la vie humaine, tout en étant transcendante à sa visibilité historique, que le Christ se rend présent dans le monde (12). C’est le règne du Christ in mysterio, grandissant jusqu’à sa consommation finale (13).

Jean XXIII reçut Saint Josémaria et D.Alvaro del Portillo en audience

Pour comprendre ce qu’est l’Église, il faut la contempler avec un regard que le don de la foi élève. C’est ainsi, —plus qu’avec la compréhension intellectuelle qui est le fait des théologiens, toujours conscients de ne jamais arriver à épuiser le sujet—, que l’on parvient à un vécu intérieur, à une participation connaturelle à la science divine qui réjouit et remplit de sagesse.

Il est significatif, à ce propos, de trouver déjà dès le premier point de Chemin consacré à l’Église, une incitation à la méditation du mystère, spontanément tirée des paroles du Credo : «"Et unam, sanctam, catholicam et apostolicam Ecclesiam!..." —Je m’explique le ton posé que tu prends, pour mieux savourer : je crois à l’Église une, sainte, catholique et apostolique… (Chemin, n. 517).

Ces propos nous placent devant le mystère de l’Église, réalité de grâce invisible et, inséparablement, communauté concrète visible sur terre. Il s’agit de l’Église de Jésus-Christ, reconnaissable à ses quatre notes classiques, à savoir, aux propriétés de la nature de la Ecclesia in terris, que la tradition et la théologique ont explicitée à partir de l’article de foi professé et qu’on ne retrouve que dans l’Église Catholique, en tant que réalité historique visible.

La rencontre salutaire avec le Christ n’est possible que dans sa communauté de salut, dans l’Église qu’Il a lui-même voulue (14). Il n’y a pas de vie pleinement chrétienne en marge de son Église. Cette visibilité institutionnelle n’est pas un pur accident nécessaire à notre condition humaine, et dans ce sens, dépourvu de signification salvifique. La foi nous pousse à accepter que le Christ a établi la dimension institutionnelle (sacrements, hiérarchie, etc), comme un moyen de salut, comme l’instrument d’une médiation de grâce : l’Église « est en Christ comme un Sacrement, c’est-à-dire comme le signe et l’instrument de l’union à Dieu et l’unité de tout le genre humain »(15). La foi en l’Église est ramenée à la foi en Christ qui l’a dotée d’efficacité. Se décider pour l’Église revient à prendre position pour le Christ (cf. Lc 10, 16). Ce goût spirituel — « savourez » dit l’auteur (16) — de l’unité, la sainteté, la catholicité et l’apostolicité, renferme la confession du noyau de la foi, dans la continuité historique du Christ dans l’Église. Le Christ continue d’offrir aujourd’hui le salut à chaque homme dans une communauté concrète et délimitée.

Paul VI avec saint Josémaria en 1965

Ceci dit, si la foi est l’élément qui bâtit la vie chrétienne in Ecclesia, Chemin n’oublie pas qu’avec la foi, il y a les sacramenta fidei: « Que le Christ est bon, d’avoir laissé les sacrements à son Église ! — Ils portent remède à chacun de nos besoins.

— Vénère-les et sois-en reconnaissant au Seigneur et à son Église ». (n°. 521).

L’Église, dispensatrice des canaux de la grâce, rend accessible, hic et nunc, le contact salvifique avec le Christ. Mais c’est au Seigneur que la reconnaissance est adressée tout d’abord car, dans sa bonté infinie, il a voulu une nouvelle économie de grâce au moyen de signes efficaces. C’est le Christ lui-même qui continue d’agir au moyen du grand sacrement de l’Église. Chemin nous souffle que face à la miséricorde divine, il n’y a de place que pour l’amour, la vénération, la gratitude.

b) Le royaume du Christ sur la Terre

L’Église est à Jésus-Christ : Elle est son corps, son Épouse, Il en est sa Tête, son Seigneur. Ce n’est qu’en son nom et, qui plus est, parce que c’est Lui qui agit en Elle, que l’Église peut offrir le remède aux nécessités les plus profondes de l’homme. Or cela demande de frayer le passage à l’emprise du Christ sur le cœur des hommes, maîtrise qui les délivre vraiment de l’esclavage du péché.

C’est une raison de plus d’aimer l’Église qui affleure dès que l’on médite Chemin.

Cette emprise du Christ, présente dans de nombreux points de ce livre, est décrite par l’auteur comme une réalisation conjointe du pouvoir de la grâce divine et de la libre réponse de l’homme. L’Église est donc décrite comme le domaine du royaume du Christ, établi par la Parole de Dieu, qui suscite en Elle la réponse de la foi et par les sacrements, qui réalisent vraiment ce qui a été annoncé. Le chrétien qui permet que ce royaume croisse dans sa vie, devient porteur du royaume du Christ, avec sa vie sainte et avec son apostolat : « (…) Si tu es généreux, si tu réponds avec ta sanctification personnelle, tu obtiendras celle des autres : le royaume du Christ (…) » (Chemin,n.833).

Chemin, ne tâche pas tant de convaincre son lecteur que de l’accompagner sur un « chemin » intérieur, en lui faisant découvrir la beauté de l’Église

Le chrétien doit avoir un désir passionné de répandre le royaume du Christ — « Dieu et audace !— "Regnare Christum volumus!"», cela doit nous pousser à semer, sur notre chemin ici-bas, un vrai germe du Royaume : « (…)— Dieu veut une poignée d’hommes « à lui » dans chaque activité humaine. — Après quoi… pax Christi in regno Christi : la paix du Christ dans le règne du Christ » (n.301).

En 1939, vingt-cinq ans après la première édition de Chemin, le Concile Vatican II enseignait que toute l’Église a reçu la mission d’annoncer le royaume du Christ et de l’instaurer.

Hic in terris, elle en est elle-même son germe et son principe (17).

Jean-Paul II lors d’une rencontre avec des jeunes

Chaque chrétien participe à cette mission. Cette compréhension de la relation qui existe entre l’Église et le royaume du Christ et spécialement le rôle de chaque chrétien dans son édification est sous entendue en Chemin, dans ce dialogue direct avec le lecteur caractéristique de l’œuvre de saint Josémaria. C’est à travers l’Église, qu’avec le Christ, le chrétien bâtit un Royaume qui sera sans aucun doute consommé dans le temps eschatologique, mais qui est désormais en construction. C’est bien là l’une des raisons d’aimer l’Église et de se livrer, dans la joie, à l’apostolat : « Et regni eius non erit finis : son règne n’aura pas de fin !

Ne te réjouis-tu pas de travailler pour un tel royaume ? » (n°. 906).

C’est parce que l’Église est déjà le royaume du Christ à ses débuts et qu’Il en est le fondement actuel et pérenne, que Chemin transmet l’assurance que nous donne son l’indéfectibilité. L’Église, en pèlerinage à travers « les persécutions du monde et les consolations de Dieu », comme nous le rappelle l’évêque d’Hippone, ne défaillira pas. Cette conviction permanente doit étayer la foi du chrétien devant la persécution et la contradiction —« l’arbre de l’Église nul vent, aucun ouragan ne pourra le déraciner, alors que Dieu les permet parfois en guise de purification (18). » D’une certaine façon, son sort est décidé de façon définitive. Ceci dit, la puissance souveraine de Dieu requiert une condition pour se déployer : « Dieu est celui de toujours. » — Il faut des hommes de foi : et les prodiges que nous lisons dans la sainte Écriture se renouvelleront.

— « Ecce non est abbreviata manus Domini, le bras de Dieu — sa puissance — ne s’est pas raccourci ! » (n. 586)

L’auteur tient à nous placer dans une perspective précise face à la tentation facile d’une vision purement humaine de l’action de l’Église. En effet, c’est le Seigneur qui continue d’œuvrer parmi les hommes quand il trouve la foi. Les prodiges, les interventions salutaires de Dieu dont nous parle la Sainte Écriture se produisent de nos jours aussi dans son nouveau Peuple, mais, comme les Évangiles le disent souvent, le Christ demande la foi en Lui.

Chemin n’est pas un livre qui pousse à rechercher des faits spectaculaires dans l’Église ou à solliciter les interventions foudroyantes de la toute-puissante divine. Elles seront, certes, nécessaires par moments. Ceci dit, c’est l’attachement à l’action extraordinairement habituelle de Dieu dans notre vie qui perce tout au long de ce livre.

Chemin montre quelle est la responsabilité spéciale qui revient, dans ce domaine, aux catholiques dont le travail a une grande influence sociale, que ce soit dans les media ou dans les charges de la vie politique ou dans la préparation scientifique.

Tout le chapitre consacré aux petites choses en est une illustration. Le chrétien aurait vraiment tort de négliger, de mépriser, les voies habituelles que le Seigneur emprunte toujours dans l’Église en réalisant de silencieux prodiges : la vie sacramentelle, la prière, la formation dans la foi, se laisser guider par le souci pastoral et maternel de l’Église.

L’amour et la foi dans le Christ comportent l’amour et la foi en l’Église, où le royaume de Dieu est amorcé qui grandit, aujourd’hui, maintenant, mais in mysterio, c’est-à-dire, ne se dévoilant que sous le regard de la foi.

c) Le chrétien, fils de l’Église : impliqué dans sa mission

L’amour de l’Église s’appuie sur le fait qu’elle est l’œuvre du Christ.

Il l’a fondée, il lui envoie son Esprit, il est toujours présent, à l’œuvre et efficace, en elle et à travers elle. L’Église envoyée par Lui au monde entier reçoit la mission d’annoncer et de réaliser le salut effectué, une fois pour toutes, par le Sang de son Seigneur. Chemin encourage chaque chrétien à se sentir impliqué dans sa mission : « Allez, prêchez l’Évangile… Je serai avec vous… » — Voilà ce qu’a dit Jésus… et il te l’a dit à toi » (n. 904). Il veut éveiller ainsi cette « mémoire » chrétienne de la mission, contenue dans l’Écriture et la Tradition (19).

En effet, il y a une continuité réelle entre les disciples immédiats de Jésus, ceux qui les ont suivi dans les générations suivantes et nous, qui formons aujourd’hui l’Église comme une grande famille, la « famille de Dieu » dont parle l’Apôtre (cf. Ep 2, 19-22 ; LG, n.6), dans laquelle il y a des coutumes de famille, une tradition et des liens intimes surnaturels entre les membres et, finalement, une destinée commune, une mission solidaire pour laquelle nous disposons de moyens précis : le Crucifix et l’Évangile (20). Les Apôtres sont souvent appelés « les premiers » (21), ce qui veut dire que les autres nous sommes les maillons de leur chaîne mais surtout que « les premiers » — les Apôtres, les disciples, ceux qui ont accueilli la Bonne Nouvelle à partir de la Pentecôte— déterminent, avec leur vie, des conduites normatives pour les générations postérieures, un esprit vivant qui se transmet.

Tout d’abord, il y a bien évidemment l’exemple du Maître (22). Ensuite il y a la conduite apostolique : « Bois à la source claire des « Actes des Apôtres » (…) (n. 570) et à celle des disciples : « (…) tâche de connaître et d’imiter la vie des disciples de Jésus qui ont fréquenté Pierre, Paul et Jean et qui ont presque été des témoins de la Mort et de la Résurrection du Maître » (n. 925).

Benoît XVI.

Connaître, vivre et aimer ces premiers pas de l’Église n’est donc pas tant une pure connaissance, quelque chose de froid et de lointain, au fond, que le fait de tâcher de s’incorporer pleinement à une communion de foi, d’espérance et d’amour avec les premiers dans le temps.

Être conscient de partager une même foi, les mêmes sacrements et une mission identique, celle de l’accomplissement « d’un commandement impératif du Christ » (23), nous introduit donc dans une perspective solidaire, « familiale », disions-nous, de la nature de l’Église. Le chrétien ne saurait contempler l’Église comme quelque chose d’étranger à lui, qu’il observerait et jugerait de l’extérieur. Il porterait atteinte contre lui-même. Il serait à son tour incompréhensible en marge de sa Famille. Il doit sentir qu’il est un membre de plus, appelé par vocation divine. Chemin réaffirme cette vision sur la façon d’être et de vivre in Ecclesia quand il envisage la relation de chacun des membres avec l’Église comme une relation filiale, comme un lien d’amour unissant un fils avec sa Mère.

Il suffit d’évoquer Saint Cyprien et Saint Augustin pour vérifier que c’est bien là le patrimoine originel de la Tradition (24). La relation filiale avec l’Église est fortement personnalisée : l’Église est « ma Mère » ; « je suis fils de l’Église » (25).

Chemin ne prétend pas élaborer une théologie du primat, mais de susiciter la foi qui reconnaît chez le Pape la présence perpétuelle du ministère pétrinien d’unité, de communion.

L’amour découlera ainsi comme la plus naturelle des manifestations et le rejet, le désamour, ne seront qu’une aberration.

L’Église est une Mère qui engendre des enfants à la vie surnaturelle, qui les nourrit et les rend forts avec les sacrements, spécialement avec l’Eucharistie, qui leur apprend les mystères divins. En considérant que l’Église est Mère, le chrétien peut faire siennes les paroles que le Psalmiste chantait sur Jérusalem : Oui, que ma langue se colle à mon palais si je ne pense plus à toi, Jérusalem, si je ne te mets plus avant toute autre joie (Ps 137,6). En effet, dans la Sainte Écriture, l’Église est dite notre Mère et la Jérusalem céleste. C’est saint Paul qui l’appelle ainsi dans Galates 4, 26 en opposant la Jérusalem historique, représentée par Agar, épouse esclave d’Abraham, et l’Église, peuple né de la nouvelle Alliance, représenté par Sarah, l’épouse libre. L’Église est la Jérusalem d’en haut, libre ; et si on dit que Jérusalem est Mère parce que tous en sont nés (Ps 137, 5), raison de plus pour le dire de l’Église, où nous sommes nés, en tant qu’enfants de Dieu.

Quelques caractéristiques de cet attachement à l’Église.

L’amour de l’Église est fondé sur une profonde vision de foi en sa nature : elle est la médiation visible par laquelle le Christ continue d’agir dans l’histoire ; le royaume du Christ qui se déploie dans le temps ; la communion des Apôtres et des disciples de Jésus-Christ parvenue jusqu’à nous ; elle est notre Mère, celle dont nous sommes nés à la vie de la Grâce. Voilà les raisons, s’il y en fallait, pour lesquelles l’Église est digne d’amour, de vénération et de fidélité.

En lisant Chemin, on ne trouve pas de définition théorique, systématique et détaillée de ce qu’est cet amour de l’Église.

En revanche, on peut percevoir les sentiments qui entourent cet amour, les traits caractéristiques qui le définissent. C’est dans ce sens que l’auteur agit tout naturellement : l’amour est tout d’abord vécu, il est ensuite décrit, il est expressément manifesté mais, malgré tout, il n’est jamais totalement transmis tant qu’on ne l’a pas éprouvé personnellement. Au fond, l’amour de l’Église est un don de Dieu.

Aussi, Chemin, ne tâche pas tant de convaincre son lecteur que de l’accompagner sur un « chemin » intérieur, en lui faisant découvrir la beauté de l’Église, en attendant que la grâce le touche et l’incite à rejoindre cette admiration.

a) L’amour de l’Église permet de capter, dans une expérience habituelle et ordinaire, les reflets de l’essence intime de l’Église : la Communion des Saints.

Cet amour de l’Église, concret et agissant, est perçu en Chemin comme un don que Dieu fait à l’homme.

« Vivez avec une intensité particulière la communion des saints, et chacun sentira, à l’heure de la lutte intérieure, aussi bien qu’à l’heure du travail professionnel, la joie et la force de ne pas être seul » (545). Vivre dans l’Église revient à se laisser inonder par la vie de communion avec Dieu et avec l’humanité (cf. Const.Dogm. Lumen gentium, n.1). De ce fait, la fraternité chrétienne, loin de toute philanthropie illustrée, découle de la conduite ancrée dans le Christ : « Saluez tous les saints. Tous les saints vous saluent. À tous les saints qui vivent à Éphèse. À tous les saints dans le Christ Jésus, qui sont à Philippes. » N’est-il pas émouvant, ce titre de « saints » que les premiers chrétiens utilisaient entre eux ?

— Apprends à vivre avec tes frères » (469).

C’est de la certitude de « vivre parmi des saints », étrangère à une idée paradisiaque qui ignorerait la chute originelle (26), que découlent les exigences aimables de la fraternité ecclésiale : la charité silencieuse (27), la loyauté inconditionnelle envers les frères dans la foi (28), etc. au final, elle est une force que tous les fils d’une même Mère doivent se prêter entre eux (29).

Aimer l’Église c’est ressentir avec elle, partager ses joies et ses souffrances, vivre en pratique la réjouissante réalité de la communion des saints, en liaison avec tous ceux qui nous ont précédés, au-delà de notre génération. Unis dans la pénitence (30), pour contempler dans ce corps les souffrances du Christ pour son Église (cf. Col 1, 24) ; unis dans un élan apostolique, par amour de Jésus-Christ (31).

b) Chemin reflète très fort aussi une autre caractéristique de l’amour de l’Église : la dimension universelle de cet attachement.

L’Église est « Catholique », « universelle » ; elle assume dans le Christ tous les nobles élans, vraiment humains : « Catholique ! grand cœur, esprit ouvert » s’écrie l’auteur (32). Le monde entier est l’horizon d’un fils de l’Église loin de tout esprit rétréci et terre à terre. Aimer l’Église demande d’aimer le Christ et pour le Christ, toutes les réalités humaines issues de l’amour créateur de Dieu.

L’amour de l’Église nous pousse, en même temps, à reconnaître l’action de l’Esprit Saint qui agit où il veut et comme il veut. Cela revient à se réjouir du travail des autres au service de l’Église : «Tu as mauvais esprit si tu souffres parce que d’autres travaillent pour le Christ en faisant fi de ton travail » (33). L’esprit exclusif témoignerait d’un faux amour, méfiant par principe ou plein de préjugés à l’égard des initiatives ou des mouvements apostoliques issus au cœur de l’Église. Il y a une foule de chemins dans l’Église, nous rappelle le point 964 : « permettant à toutes les âmes d’y retrouver le leur, dans cette admirable variété (…) » Cette diversité ne porte pas atteinte à l’unité de l’Église dès lors que c’est l’Esprit Saint qui en est l’origine, que c’est Lui qui assure l’unité de la communauté et du ministère car il la bâtit et la dirige grâce à la diversité des dons hiérarchiques et charismatiques qu’il l’orne de ses fruits (cf. Lumen gentium, n. 4).

On ne peut donc que s’en réjouir et aimer une telle variété : « Réjouis-toi si tu en vois d’autres travailler à de bons apostolats. — Et demande à Dieu, pour eux, grâce abondante et correspondance à cette grâce » (Chemin, n. 965)(34).

Exigences fondamentales de l’amour de l’Église

S’il a pris conscience de sa vocation, le chrétien ne peut pas ne pas ressentir en lui le reflet de la sainteté de l’Église et, en même temps, participer à la mission qui lui a été confiée. Au premier titre, il est poussé à laisser transparaître en sa vie l’esprit de sa Mère Sainte. L’amour de l’Église deviendra, en seconde instance, un encouragement constant pour réaliser avec une plus grande fidélité le travail qui lui revient dans la mission ; et c’est cet amour-là qui le conduira à la défendre, à l’aimer en ses institutions et à vibrer intérieurement avec la vie de l’Église.

a) Au départ, nous avons fait allusion à la sainteté de l’Église.

En effet, l’Église apparaît, dans l’histoire et dans le monde, comme le peuple sanctifié par le sang de Jésus-Christ ; gens sancta, peuple saint, comme le dit Saint Pierre dans la première épître (1 P 2, 9). L’Église est l’Épouse de l’Agneau Immaculé. Et le concile Vatican II part justement de cette sainteté de l’Église pour rappeler aux chrétiens les exigences de leur vocation baptismale : « Aussi dans l’Église, tous, qu’ils appartiennent à la hiérarchie ou qu’ils soient régis par elle, sont appelés à la sainteté » (Const. Dogm. Lumen gentium, n. 39). Saint Josémaria Escriva de Balaguer, toute sa vie durant et dès le début, en fit l’axe de son ministère sacerdotal : que les chrétiens prennent conscience d’avoir été appelés à la sainteté.

Cet appel universel à la sainteté et à l’apostolat qui résonne partout en Chemin s’adresse particulièrement aux chrétiens courants : « Tu as l’obligation de te sanctifier. — Toi aussi. Qui pense que c’est une tâche exclusivement réservée aux prêtres et aux religieux ?

Le Seigneur a dit à tous, sans exception : « Soyez parfaits, comme mon Père céleste est parfait. » (n. 291) (35).

En effet, c’est parce que l’Église est Sainte que la première manifestation de l’amour qu’on lui porte est de chercher la sainteté personnelle et celle de ses autres membres. C’est le meilleur service à rendre à l’Église et la façon appropriée de lui appartenir en plénitude. Chemin encourage à la responsabilité personnelle en envisageant le tort que répresenterait l’infidélité :

« Il te sera plus facile d’accomplir ton devoir si tu penses à l’aide que te prêtent tes frères, et à celle que tu cesses de leur prêter si tu n’es pas fidèle» (n. 549).

b) La sainteté personnelle implique inéluctablement la mission apostolique. C’est une autre exigence de l’amour.

Nous avions considéré l’engagement apostolique que l’auteur découvre à chacun : « ‘Allez, prêchez l’Évangile’… C’est à toi qu’il l’a dit » (cf. n. 904). Comme c’est bien connu, en Chemin il y a une série de caractéristiques sur la mission propre aux fidèles laïcs qui devance ce que la constitution dogmatique Lumen gentium du concile Vatican II décrira par la suite, tout particulièrement lorsque le concile met en relief la vocation des laïcs à l’apostolat et quand il indique leur contribution spécifique et nécessaire à la mission de l’Église (cf. p.e : Const. Dogm. Lumen gentium, n. 33).

Bien évidemment, les affirmations de Chemin à ce propos ne sont nullement exprimées en termes académiques. Comme cela correspond à ce genre de livres, ce sont plutôt des points de référence pour un développement concret. Nous n’allons pas nous attarder sur ce sujet, par ailleurs largement étudié. Il s’agit, en définitive, de mettre le chrétien face à sa condition et, partant, de l’éclairer dans son agir au cœur de la société, au lieu où Dieu vient le trouver, ou pour mieux dire, avec des paroles du concile, là où il l’a appelé : ibi a Deo vocantur (cf.Const.dogm.Lumen gentium, n. 31).

L’auteur qui sait que son lecteur habituel fait partie de l’imposante quantité de membres du Peuple de Dieu, plongés dans les affaires humaines, aux côtés de leurs frères les hommes, est conscient que son activité aura une caractéristique séculière et partant respectueuse de la valeur propre aux réalités créées. C’est là que l’amour de l’Église est aussi manifesté :

« Lorsque des gens professionnellement mal cotés se démènent, pour prendre la tête des manifestations extérieures de religiosité, vous avez à coup sûr envie de leur glisser à l’oreille : De grâce, ayez la bonté d’être moins catholiques ! » (n. 371). Avec cette expression paradoxale, l’auteur tient à préserver la Mère des défauts de ses enfants.

Ceci dit et parce que l’activité de la plupart des chrétiens ne répond pas à une charge ecclésiastique officielle, on pourrait être faussement tenté de croire que, d’une certaine façon, leur conduite séculière est éloignée de leur vocation divine, voire même qu’elles n’ont pas de points de contact.

Or, sans que leur activité quotidienne n’ait rien d’ecclésiastique, elle est cependant ecclésiale : on ne cesse jamais d’être membre de l’Église. Et c’est son souci apostolique qui montre bien son attachement à l’Église. (Que ton amour est petit si tu ne ressens pas le zèle du salut de toutes les âmes (…) » (n°. 796). Il se sent impliqué, là où se déroule son activité, dans la mission apostolique de tous : « N’oublie pas, mon fils, que tu n’es pas seulement une âme qui rejoint d’autres âmes pour faire quelque chose de bon.

C’est beaucoup…, mais c’est peu. — Tu es l’apôtre qui remplit un mandat impératif du Christ » (n°. 942). Un mandat qui le pousse à accomplir sa mission sur son lieu de travail, dans la société. Sans qu’il ait, bien évidemment, à faire que les milieux où il évolue deviennent ecclésiastiques, mais sans oublier pour autant ce sentire cum Ecclesia, autrement dit sa condition de chrétien et le fait que Dieu l’a appelé là où il est pour qu’il imprègne ces réalités de l’esprit de l’Évangile, pour qu’il travaille pour le Règne du Christ (36).

Chemin nous rappelle que la double vie du chrétien qui ne respecterait plus ce qu’il est dès qu’il serait présent dans l’édification de la société humaine, est vraiment absurde. Ce type d’attitude, en réduisant l’opérativité de la foi au cercle purement intraecclésial, dénaturerait la contribution propre et spécifique des laïcs (37). On demande au catholique qu’il veuille bien l’être dans toutes les circonstances de la vie. Qui plus est, il doit être prêt à tout sacrifier pour servir « l’Église de Dieu (…) même au dépens de ses biens, de son honneur, de sa vie » (n. 519); prêt, comme Saint Paul à tout supporter propter electos, pour le salut de ses frères (38).

c) Le chrétien est membre de la communauté humaine ainsi que de l’Église, et il ne saurait oublier.

Son amour pour Elle, du simple fait du baptême et sans attendre d’autres titres, le conduira à défendre sa Mère comme un bon fils. Chemin montre quelle est, dans ce domaine, la responsabilité spéciale des catholiques qui ont une activité d’une grande influence sociale, soit dans les médias, soit dans la vie politique, soit dans la science afin que l’Église ne soit jamais endommagée par leur façon d’agir : «Que de crimes on commet au nom de la justice ! — Si tu étais armurier et que quelqu’un voulait t’acheter une arme pour tuer ta mère, la lui vendrais-tu ?… Il t’en offrait pourtant le juste prix…

Professeur, journaliste, homme politique, diplomate : méditez » (n°. 400).

L’Église sera toujours à défendre. Le disciple n’est pas plus que son Maître et de même que Lui, l’Église apparaîtra toujours parmi les hommes comme un signe de contradiction.

D’une certaine façon, la fidélité à Jésus semble être scellée par cette authenticité. Ceci étant, l’invitation évangélique à se rapprocher de la candeur de la colombe prévoit aussi l’astuce du serpent. Sans doute la caricature de la vraie humilité, très souvent attachée à un désintérêt personnel, a permis parfois, comme en témoigne l’histoire, une cession de leur droits de la part des chrétiens — parfois imposée par la violence, certes— pour qu’il soit dit que l’ivraie pousse dans la Vigne du Seigneur. Inimicus horno hoc fecit (Mt 13, 28).

D’autres fois, un complexe d’infériorité face à un monde envahissant par ses conquêtes techniques et scientifiques semblait justifier que les chrétiens se réfugient dans un « fidéisme pratique », dans la foi du charbonnier — profondément légitime du reste, mais sans doute, dangereuse pour notre temps— provoquée plutôt par un retrait du front de bataille que par d’autres raisons.

On comprend dès lors que Chemin ne pactise pas avec cet état des choses : « Les connaissances humaines — la science — étant jadis très limitées, il semblait fort possible qu’un seul savant prît la défense et fît l’apologie de notre sainte foi.

Aujourd’hui, l’étendue, la densité de la science moderne exigent que les apologistes se répartissent le travail pour défendre scientifiquement l’Église sur tous les terrains.

— Toi… tu ne peux pas te désintéresser de cette obligation » (n°. 338).

Tâcher de cultiver l’intelligence, elevée à l’ordre de la lumière de la foi et nourrie de la doctrine du Christ, sera alors une manifestation, opere et veritate, d’attachement à l’Église.

Puisque l’amour fait que les enfants souffrent eux-mêmes de toute atteinte à leur Mère, ce serait lamentable qu’en dépit du bon sens, les chrétiens, par naïveté ou par des intérêts égoïstes inavouables, reprennent en chœur la voix de ceux qui, d’une façon ou d’une autre, malmènent l’Église, sa foi ou ses institutions. En faisant allusion à de possibles affronts, réels, à l’Église issus du domaine scientifique, saint Josémaria prend parti : « Servir de haut-parleur à l’ennemi est une souveraine idiotie ; et si l’ennemi est l’ennemi de Dieu, c’est un grand péché. — C’est pourquoi, sur le plan professionnel, je ne louerai jamais la science de celui qui s’en sert comme d’une chaire pour attaquer l’Église » (n. 836). Ce conseil est toujours d’actualité.

d) L’amour de l’Église est décrit en Chemin par des expressions qui ne se réduisent cependant pas à une attitude de défense face aux assauts extérieurs.

C’est tout naturellement que l’amour encourage d’abord à la reconnaissance des magnalia Dei, de l’action de Dieu, de la grandeur de l’agir divin dans son Église.

Chemin nous encourage, à l’appréciation et à la vénération, en tant qu’exigence découlant de l’amour. C’est le cas par exemple, du don du sacerdoce ministériel, du prêtre, représentation fondée du Christ : « Le prêtre — quel qu’il soit — est toujours un autre Christ » (66). Ou aussi celui du charisme religieux en ses manifestations multiples voulues par l’Esprit : « Si tu n’as pas une extrême vénération pour l’état sacerdotal et religieux, il n’est pas vrai que tu aimes l’Église de Dieu » (n. 66). La raison de cet amour revient, en dernière analyse, à la foi en la présence du Christ chez ses ministres, dans le premier cas de figure, ou à la reconnaissance du don de Dieu à l’Église, dans le second.

e) Pour finir, la référence profonde et radicale à la liturgie, à cette prière du Corps mystique du Christ, Tête et membres, ne saurait manquer dans l’œuvre de saint Josémaria qui vibrait d’amour pour la sainteté de l’Église.

C’est, pour ainsi dire, la vie intérieure de l’Église qui doit nourrir la vie personnelle du chrétien. Par ailleurs, un membre de l’Église doit trouver dans la liturgie un motif supplémentaire d’action de grâce à Dieu qui tient à ce que cette économie de la grâce que les signes traduisent, soit à la portée de l’homme. Il doit être spécialement reconnaissant, nous l’avons vu précédemment, pour les sacrements, signes qui réalisent efficacement ce qu’ils signifient (où le Christ agit lui-même) : (cf. n.521).

Ceci dit, c’est toute la vie liturgique qui, de façon diverse, rend présent le mystère chrétien. Aussi est-elle nécessaire et digne de vénération : « Vénère et respecte la sainte liturgie de l’Église et ses cérémonies. — Suis-les fidèlement. — Ne sais-tu pas que même la plus grande et la plus noble des choses n’entre dans l’esprit des pauvres hommes que par les sens ? » (n. 522). Et Chemin voue ce respect au soin et à la splendeur avec lesquelles on doit s’occuper de tout ce qui a trait au culte divin. L’amour du Seigneur, de l’Église, de la liturgie nous porte à ne rien refuser à la magnificence divine, comme c’est le cas pour la femme dont parle Mt 26, 6-13 : que Chemin interprète ainsi : «Cette femme, qui répandit, chez Simon le lépreux, à Béthanie, un parfum coûteux sur la tête du Maître, nous rappelle au devoir d’être magnifiques dans le culte de Dieu.

— Tout le luxe, la majesté et la beauté du monde me semblent peu.

— Et contre ceux qui s’en prennent à la richesse des vases sacrés, des ornements, des retables…, s’élève la louange de Jésus : Opus enim bonum operata est in me, c’est une bonne œuvre que cette femme a faite envers moi» n. 527.

Sentire cum Ecclesia, demande que l’on cultive la vie intérieure en consonnance avec la prière « familiale » de l’Église :

« Ta prière doit être liturgique. —Puisses-tu prendre goût à réciter les psaumes et les prières du missel, plutôt que des prières privées ou particulières ! » (n. 86); chanter avec la liturgie (39); repérer, dans sa solennelle sobriété, le pas de Dieu parmi les hommes, (40). L’auteur de Chemin découvre, jusque dans ses plus petits détails, la manifestation d’une foi vivante, la sereine présence de Dieu devant laquelle l’homme reconnaît sa souveraineté, l’honneur de Dieu (41).

Et tout cela permet d’apprécier les riches expressions de foi des dévotions populaires : « Qui t’a dit que faire des neuvaines ce n’est pas une affaire d’hommes ? — Ces dévotions sont parfaitement viriles, quand c’est un homme comme il se doit qui les pratique…, dans un esprit de prière et de pénitence » (n. 574).

L’attachement au Pape

Nous disions au début de cette étude que l’amour de l’Église est l’un des fils conducteurs de Chemin dont le tissu surnaturel de l’existence chrétienne s’enrichit petit à petit.

L’attachement au souverain pontife ne saurait manquer à cet amour. Pour l’auteur de Chemin, le pape est tout simplement « Pierre » avec tout ce que cela comporte, le pêcheur de Galilée appelé par le Christ à être le roc solide sur lequel la foi de ses frères devra s’appuyer, une foi assurée parce qu’elle compte sur la prière infaillible du Christ (cfr. Lc 22, 32).

Le pape, quel qu’il soit, est Pierre et, de ce fait, le Chemin sûr pour atteindre le Christ : «Omnes cum Petro ad Iesum per Mariam», propose l’auteur en guise d’orientation pour la vie chrétienne, dans le n°. 833. Le souverain pontife est donc considéré en sa qualité de successeur de Pierre, Tête visible de l’Église. Certes, le pape, dit la théologie, n’a pas toutes les prérogatives qu’avait eues Pierre, en tant que témoin direct de la vie de Jésus. Chemin ne prétend pas élaborer une théologie du primat, mais de susciter la foi qui reconnaît chez le Pape la présence perpétuelle du ministère pétrinien d’unité, de communion. De même que l’Apôtre des Gentils, poussé par la foi dans le ministère de Pierre dans l’Église, décida de se rendre à Jérusalem après sa conversion « videre Petrum » (cf. Gal 1, 18), de même, en Chemin, l’auteur nous invite à renforcer le sentiment d’être un fils de l’Église, la joie d’appartenir à l’Église Catholique Romaine, en reconnaissant le Vicaire du Christ sur la terre : « Catholique, apostolique, romain ! — Il me plaît que tu sois très romain. Et que tu aies envie de faire ton « pèlerinage à Rome », videre Petrum, pour voir Pierre» (n. 520).

Le vœu d’être en communion, dans un amour fervent, avec le Pape est considéré en Chemin comme un don de Dieu dont nous devons être reconnaissants : « Merci, mon Dieu, pour l’amour du Pape que tu as mis dans mon cœur » (n. 573).

En effet, bien que l’attachement au pape puisse être cultivé et grandir dans notre cœur, en dernière analyse, il est toujours le fruit de l’action du Saint Esprit, âme de l’Église, qui met la semence de l’unité dans le cœur de tous les chrétiens.

Finalement, en Chemin, l’amour de l’Église et du Pape n’est pas un sentiment périphérique ou accidentel, mais bien l’une des lignes de force les plus profondes du contenu de cet ouvrage, avec la filiation divine et l’appel fait au chrétien pour qu’il soit saint au cœur du monde, dans son travail ordinaire.

L’amour de l’Église acquiert une dimension concrète dans l’amour des réalités visibles grâce auxquelles il est manifesté et déployé dans l’histoire : la liturgie, la doctrine, le pape, l’état sacerdotal, les frères dans la foi, tous les hommes, puisque tous sont appelés à participer au salut que le Christ leur offre à travers l’Église.

Ceci étant, l’amour de l’Église est une force qui encourage le chrétien à chercher la sainteté et à faire l’apostolat. Et très précisément, à l’acquisition de la sainteté au cœur des réalités temporelles puisque c’est là où l’Église a son point d’insertion avec le monde, pour le sanctifier de l’intérieur.

Il est donc rattaché à la vertu théologale de la charité car l’amour que le chrétien voue à l’Église est une participation à l’amour dont le Christ l’aime.

Le chrétien aime alors l’Église de cet amour de Dieu et du Christ qui a été déversé dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné (Rm 5, 5). Le chrétien peut contempler en l’Église la bonté et l’amour de Dieu qui nous a été manifesté en Christ et qui nous parvient à travers les actions sacramentelles de l’Église. En considérant la réalité surnaturelle et en même temps humaine de l’Église, l’on comprend la vérité profonde de l’amour qui consiste non pas en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’Il nous a aimés et envoyé son Fils en propitiation pour nos péchés (1 Jn, 4, 10). De ce fait, réellement, l’amour de l’Église est un don de Dieu, mais un don orienté à susciter chez le chrétien des sentiments de joie et de fidélité à l’Église qui imprègnent toute son existence.

Notes

(1) Quelques années plus tard, Mgr Escriva de Balaguer a tenu à ce que, près des reliques de Sainte Catherine de Sienne, il y ait cette plaque : Dilexit opere et veritate Ecclesiam Dei ac Romanum Pontificem, comme un résumé, une synthèse, de la vie de don de soi de la Sainte et de l’admiration personnelle qu’il lui vouait.

(2) On doit ici parler de spiritualité « individualiste » ou « ecclésiale » pour préciser ce que cette opposition veut dire. Toute spiritualité chrétienne correcte est bien évidemment ecclésiale. Cependant, quand on parle « d’individualisme », inconcevable par ailleurs dans la vie chrétienne, on arrive facilement à s’y méprendre en l’identifiant trop facilement avec le travail que l’Esprit Saint cultive et développe dans la vie chrétienne de chaque âme. Certes, un chrétien ne saurait l’être individuellement, mais « personnellement », ce qui est évidemment bien différent. D’après saint Thomas, l’Église est « presque une personne mystique », sans pour autant — c’est un aspect du mystère de l’Église— aliéner la personnalité propre de chacun de ses membres.

(3) Le 20ème siècle, nous le savons bien, est connu comme « le siècle de l’Église ».

On fait allusion ainsi à l’éveil de la vie chrétienne à ce qu’est le sens de l’Église : savoir que l’on est une partie d’un tout auquel chacun est incorporé et qui est une dimension essentielle de la vie de tout chrétien. Nous voyons que cette valeur est présente en Chemin, non pas en tant qu’affirmation explicite et théologiquement développée, mais plutôt comme quelque chose d’admis, de cultivé et sous-entendu dans nombre des conseils spirituels que nous donne l’auteur. En tout cas, la nature de Chemin est différente des œuvres, aujourd’hui classiques, qui au fil des ans, dans l’entre deux guerres et par la suite, ont pesé sur l’élaboration de l’ecclésiologie dogmatique. Pensons à R.Guardini, K.Adam, Domm Vonier, etc. en Allemagne ou a H.Clérissac, en France. Dans ce sens, il on ne peut pas faire un parallèle approprié avec des genres différents, comparer l’incomparable. Toutefois, ces deux types de littérature ont sans doute eu un poids sur le dernier Concile.

(4) Essayer de déduire la pensée ecclésiologique de mgr Escriva de Balaguer seulement à partir de Chemin, n’a pas de sens, à mon avis.

C’est tout au long de son abondante production postérieure que l’auteur a développé une profonde perception ecclésiologique, dont le contenu est certes déjà en Chemin, mais, redisons-le sans crainte, sous le point de vue de la réalité existentielle chrétienne. Pour avoir une idée plus complète de la personnalité théologique de mgr Escriva il est indispensable de consulter P. RODRÍGUEZ-P. G. ALVES DE SOUSA-J. M. ZUMAQUERO (dir.), Mons. Josemaría Escrivá de Balaguer y el Opus Dei, au 50ème anniversaire de sa fondation,

ed. EUNSA, Pamplona, 1985; et P. RODRÍGUEZ, Vocación, Trabajo, Contemplación, ed. EUNSA, Pamplona, 1986.

À cause du genre propre à Chemin, il serait inapproprié de vouloir chercher une théorisation complète sur les ministères ou sur la théologie du laïcat, pour n’en donner que deux exemples.

En revanche, il est parfaitement légitime et nécessaire de découvrir le renouveau profond que supposent les affirmations de Chemin sur les relations sacerdoce ministériel-sacerdoce commun et sur la façon propre de la vie chrétienne laïque et, somme toute, sur l’appel universel à la sainteté en tant que déploiement agissant du Baptême, en tant que phénomène pastoral. À notre avis, c’est dans ce sens que Jean-Paul II a pu dire de Mgr Escriva « qu’il a anticipé dès le début la théologie du laïcat qui a caractérise par la suite l’Église du Concile et du Post-concile ».

(5) «Cependant le bon vouloir de Dieu a été que les hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien mutuel ; il a voulu en faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté.» (Concilio Vaticano II, Const. Dogm. Lumen gentium, n. 9).

(6) Cf. Commonitorio, chap. II. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que l’auteur de Chemin reflète en ces textes ces vérités solennellement exposées et enseignées par le magistère du concile Vatican II. Il s’agit du lien de la tradition originelle qui unit la foi chrétienne à travers les siècles. C’est l’Esprit Saint qui, en agissant dans l’Église, pousse ses membres à vivre la nouveauté pérenne de l’Évangile.

(7) Les théologiens ont souvent été frappés par le fait qu’il n’y a pas chez les Saints Pères un traité théologique sur l’Église expressément. Ce phénomène se reproduit même chez les Scolastiques, à commencer par Saint Thomas d’Aquin. C’est parce que dans l’Église cela va sans dire : tout est vécu avant que d’être exprimé, réalisé dans sa liturgie, dans ses sacrements, dans la vie de communion. Le chrétien y est plongé.

(8) Cf. Concile Vatican II, Const. Dogm. Lumen gentium, n. 39.

(9) Spécialement en tout agir apostolique : « Inutile de t’empresser à tant d’œuvres extérieures, s’il te manque l’amour. — C’est coudre avec une aiguille sans fil.

Quel dommage si, tout compte fait, tu avais fait « ton » apostolat au lieu de « son » Apostolat ! » (Chemin, n. 967).

(10) Il est évident, le contraire serait du faux amour, que l’amour du Pape inclut le respect et la vénération pour ses frères dans l’épiscopat. Voici ce qu’en disait saint Grégoire le Grand : « Mon honneur c’est l’honneur de l’Église universelle. Mon honneur c’est la solidité de la force de mes frères. C’est quand on ne lésine pas sur l’honneur dû à chacun en particulier que l’on m’honore moi-même vraiment » (Epist. ad Eulogium episc. Alexandrinum VIII, 30: ML, 77, n. 933).

(11) Cf. Const. Dogm. Lumen gentium, n. 3.

(12) Mgr Escriva de Balaguer, dira par la suite quelques années plus tard, très fermement : «Voilà ce qu’est l’Église : le Christ présent parmi nous, Dieu qui vient vers l’humanité pour la sauver » (Quand le Christ passe, n. 131)

(13) Cf. Const. Dogm. Lumen gentium, n. 3: « L’Église, qui est le règne de Dieu déjà mystérieusement présent, opère dans le monde, par la vertu de Dieu, sa croissance visible ».

(14) Il n’y a pas lieu de traiter ici les elementa seu bona Ecclesiae présents dans les églises et les communautés séparées de Rome et qui de iure pertinent à la seule Église (cf. Concilio Vaticano II, Decr. Unitatis redintegratio, n. 3).

(15) Const. Dogm. Lumen gentium, n. 1.

(16) Il est significatif que saint Josémaria ait employé ce terme dans un contexte semblable : « «Cette Église catholique est romaine. Comme je savoure ce mot : romaine ! Je me sens romain, parce que romain veut dire universel, catholique ; parce que cela m’amène à aimer tendrement le Pape, il dolce Cristo in terra, comme aimait à le répéter sainte Catherine de Sienne, que je considère comme une amie bien aimée. (Hom. Loyauté envers l’Église, dans Aimer l’Église, Le Laurier Paris, )

(17) Cf. Const. Dogm. Lumen gentium, n. 5.

(18) «La tempête de la persécution est bonne. — Qu’a-t-on à y perdre ?… On ne perd pas ce qui est déjà perdu… — Quand l’arbre n’est pas arraché jusqu’aux racines — et il n’y a ni vent ni ouragan qui puisse arracher l’arbre de l’Église — seules tombent les branches mortes… Et celles-là, elles sont bel et bien tombées.» (Chemin, n. 685).

(19) On ne doit pas penser que ce mandat ait été adressé exclusivement aux Apôtres et à leurs successeurs, à l’Ordre épiscopal. L’Église entière reçoit la mission, « l’envoi ». Elle est « envoyée » par sa nature propre. Certes, chaque membre la réalisera à son poste dans l’Église : suo modo, pro parte sua, avec une expression du concile Vatican II pour exprimer cette diversité des situations chrétiennes, postérieures à leur égalité baptismale radicale. L’auteur de Chemin n’hésite pas, dans ce sens, à endosser la mission sur chaque chrétien.

(20) «Mais… les moyens ? — Ce sont ceux de Pierre et de Paul, de Dominique et de François, d’Ignace et de Xavier : le Crucifix et l’Évangile.

—Excuse-moi du peu »

(Chemin, n°. 470).

(21) Cf. Chemin, n°. 779.

(22) «Puissent ton comportement et tes conversations être tels que l’on puisse dire en te voyant ou en t’écoutant parler : voilà quelqu’un qui lit la vie de Jésus-Christ ! » (Chemin, n°. 2).

(23) «Considère, mon fils, que tu n’es pas seulement une âme qui rejoint d’autres âmes pour faire quelque chose de bon.

C’est beaucoup…, mais c’est peu. — Tu es l’apôtre qui remplit un mandat impératif du Christ» (Chemin, n. 942).

(24) «On ne peut avoir Dieu pour Père si on n’a pas l’Église pour Mère » écrivait Saint Cyprien dans son Traité sur l’unité de l’Église catholique, chap. 6. Et saint Augustin l’exprimait ainsi : « Aimons Dieu notre Seigneur, aimons son Église. Lui, comme un père, elle comme une mère… » (Enarrationes in Psalmos, 88, 2; PL 37, 1140). Dans son homélie La fin surnaturelle de l’Église, prononcée en 1972, Mgr Escriva de Balaguer reprit ces deux citations des Saints Pères pour parler précisément de l’amour filial de l’Église. C’est un exemple de plus pour comprendre combien Chemin est profondément lié à la tradition patristique.

(25) «Quelle infâme lucidité dans la dialectique de Satan contre notre foi catholique !

Mais disons-lui toujours, sans entrer en discussion : je suis fils de l’Église. » (Chemin, n. 576).

(26) «Comment, si tu es si misérable, t’étonner que les autres aient des travers ?» (Chemin, n. 446).

(27) «Quand tu auras achevé ton travail, fais celui de ton frère, aide-le pour le Christ, avec tant de délicatesse et de naturel que personne, pas même celui qui en bénéficie, ne s’aperçoive que tu en fais plus que tu ne dois en stricte justice.

— Voilà la délicate vertu d’un fils de Dieu !» (Chemin, n. 440).

(28) « Garde-toi de mal penser de quelqu’un, même si ses propos ou ses actes t’autorisent de façon raisonnable à porter un tel jugement» (Chemin, n. 442). «La médisance est la fange qui salit et embourbe l’apostolat. — Elle va à l’encontre de la charité, elle enlève des forces, supprime la paix et fait perdre l’union avec Dieu.» (Chemin, n. 445).

(29) «Frater qui adiuvatur a fratre quasi civitas firma : le frère aidé par son frère est comme une ville forte.

— Réfléchis un instant, et décide-toi à vivre la fraternité que je ne cesse de te recommander» (Chemin, n. 460)..

(30) «Si tu éprouves la communion des saints, si tu la vis, tu deviendras un homme joyeusement pénitent. — Tu comprendras, alors, que la pénitence est gaudium etsi laboriosum — joie, bien que laborieuse — et tu te sentiras « l’allié » de toutes les âmes pénitentes qui ont été, sont et seront.» (Chemin, n. 548).

(31) «Isolé, l’effort de chacun d’entre vous se révèle inefficace. — Si la charité du Christ vous unit, vous serez émerveillés de votre efficacité.» (Chemin, n. 847).

(32) «Être « catholique », c’est aimer la Patrie, sans céder à quiconque dans cet amour. Mais c’est aussi faire miennes les belles aspirations de tous les pays. Que de gloires françaises sont aussi mes gloires ! Et de même, beaucoup de motifs de fierté des Allemands, des Italiens, des Anglais…, des Américains, des Asiatiques et des Africains sont aussi ma fierté !

— Catholique : grand cœur, esprit ouvert ! » (Chemin, n. 525).

(33) «Tu n’as pas le bon esprit si tu souffres en voyant d’autres gens travailler pour le Christ, sans tenir compte de ton œuvre. — Souviens-toi du passage de saint Marc : « Maître, nous avons vu quelqu’un qui ne nous suit pas expulser les démons en ton nom, et nous l’en avons empêché. — Ne l’en empêchez pas, répondit Jésus, car il n’est personne qui puisse faire un miracle en mon nom, et sitôt après, parler mal de moi. Qui n’est pas contre vous est pour vous. » (Chemin, n. 966).

(34) Le cœur grand que Dieu a accordé à saint Josémaria est admirable dans le domaine de l’action apostolique où l’on perçoit subtilement dans l’Église les jalousies que l’Apôtre dénonçait déjà en son temps : « Moi, je suis de Paul! et moi, d'Apollos! et moi, de Céphas! et moi, du Christ! Le Christ est-il divisé? Paul a-t-il été crucifié pour vous, ou est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés? (1 Cor, 1, 12-13) ».

(35) Si l’on considère les choses sous un angle actuel et surtout, à partir de la ratification solennelle de cette doctrine par le concile Vatican II (cf. Const. Dogm. Lumen gentium, n. 40, & 2), on peut être étonne que cette affirmation ait pu être une nouveauté lorsqu’elle apparut en Chemin. En effet, personne ne nierait, par principe, l’affirmation évangélique. Toutefois, les implications que Mgr Escriva de Balaguer décrit en Chemin, concernant une spiritualité pour le chrétien courant, le laïc, propre et adéquate à sa situation dans l’Église et dans le monde, représentaient bien une nouveauté dans le milieu de l’époque où le modèle de perfection religieuse, avec la profession des conseils évangéliques coram Ecclesiam, était proposé comme le référent principal de toute spiritualité, aussi bien pour les laïcs que pour le clergé.

(36) «Quel désir chez les gens de changer de place partout dans le monde ! — Qu’arriverait-il si chacun des os, chacun des muscles du corps humain cherchait à occuper une place différente de celle qui lui revient ?

Le mal-être du monde n’a pas d’autre raison.

— Persévère à ta place, mon fils : de là tu pourras tellement bien travailler au règne effectif de notre Seigneur ! (Chemin, n. 832) ».

(37) «Laïcisme. Neutralité. — Vieux mythes que l’on essaie toujours de dépoussiérer.

T’es tu demandé à quel point il est absurde de dépouiller sa qualité de catholique, en entrant à l’université ou dans un groupement professionnel, à l’académie ou au parlement, comme on laisse son pardessus au vestiaire ? » (Chemin, n. 353).

(38) «Ideo omnia sustineo propter electos. J’endure tout, pour les élus, ut ipsi salutem consequantur, pour qu’ils parviennent, eux aussi, au salut, quæ est in Christo Iesu : qui est dans le Christ Jésus.

— Belle manière de vivre la communion des saints !

— Demande au Seigneur de te donner l’esprit de saint Paul» (Chemin, n. 550).

(39) «Il est dit que l’Église chante parce que la parole ne suffit pas à sa prière. — Toi, chrétien, et chrétien de choix, tu dois apprendre le chant liturgique» (Chemin, n. 523).

(40) «Tu m’as vu célébrer la sainte messe sur un autel nu — table et pierre — sans retable. Un grand crucifix. De solides chandeliers, des flambeaux de cire, s’échelonnant vers la croix. Devant d’autel à la couleur du jour. Ample chasuble. Le calice riche et évasé, aux lignes sobres. Pas de lumière électrique, nous n’en éprouvions pas le besoin.

— Et il t’en a coûté de quitter l’oratoire : tant nous y étions bien. Tu vois comme la rigueur de la liturgie porte vers Dieu, rapproche de Dieu ? » (Chemin, n. 543).

(41) «Il existe une politesse de la piété. — Apprends-la. — Comme il est pénible de voir ces dévots qui ne savent ni suivre la messe, même s’ils y assistent chaque jour, ni faire le signe de la croix — ils esquissent précipitamment de vagues simagrées —, ni fléchir le genou devant le tabernacle — leurs ridicules génuflexions semblent une raillerie —, ni incliner la tête avec respect devant une image de Notre Dame !» (Chemin, n. 541).