Sanctifier son travail quotidien

‘Il n'est pas difficile de faire du travail un dialogue priant ’. Un moine bénédictin résume ainsi le message de saint Josémaria dans un article paru récemment.

"Envisager nos obligations personnelles comme une requête divine."

Né le 9 janvier 1902, à Barbastro en Aragon (Espagne), Josémaria est fils d'un commerçant en tissus. Il aura quatre soeurs et un frère. L'ambiance du foyer est marquée de dignité et de tradition, simple, élégante, gaie et pieuse. Apres ses études primaires chez les Frères des Écoles Pies à Barbastro, il entre au collège de Lerida. Les morts successives, en 1911,1912 et 1913, de ses trois soeurs cadettes le marquent profondément En 1915, une autre épreuve s'abat sur la famille : l'entreprise commerciale paternelle est ruinée , on doit quitter Barbastro pour Logroño. Là, Josémaria Escrivá trouve du travail dans un autre magasin de tissus La famille se resserre dans un petit logement, aux plafonds bas, chaud en été et froid en hiver.

Mais rien ne change à la manière de vivre, foncièrement chrétienne, héroïquement joyeuse, très serviable auprès des voisins Josémaria termine ses années de collège dans une institution de Logroño. Dans les derniers jours de 1917, il remarque dans la neige les traces de pas d'un carme « déchaux », c'est-à-dire d'un religieux carme qui, par esprit d'humilité et de pauvreté, marche pieds nus Ce signe d'une humble imitation de Jésus-Christ pauvre suscite chez Josémaria une soit ardente d'amour de Dieu, une intense ferveur dans sa vie de piété et finalement la décision de devenir prêtre afin d'être totalement disponible entre les mains de Dieu II commence ses études de théologie au séminaire de Logroño, en 1918. Puis, en septembre 1920, il rentre à celui de Saragosse, où il apprend, peu de mois avant son ordination sacerdotale (1925), la mort de son père, le 27 novembre 1924.

Le 2 octobre 1928, au cours d'une retraite spirituelle, don Josémaria voit pendant sa prière l'oeuvre particulière à laquelle Dieu l'appelle transmettre aux hommes de notre époque l'idéal de la sanctification par l'accomplissement du devoir d'état (professionnel, familial, etc.). En 1930, il baptise son œuvre « Opus Dei » (œuvre de Dieu), ce qui signifie dans sa pensée que chacun des adhérents fait de son travail quelque chose de sacré, sous le regard de Dieu.

Une œuvre familiale

L’Opus Dei doit beaucoup à la famille Escrivá de Balaguer. On y retrouve l'ambiance familiale simple et gaie, où la charité est aussi affection, ainsi que l'amour du travail bien fait. Distinguée et souriante, la mère de don Josémaria faisait, en effet, tout à la perfection En 1927, Josémaria s'est installé à Madrid, sa mère, sa soeur Carmen et son frère Santiago l'y ont accompagné. Madame Escrivá de Balaguer s'emploie sans une hésitation à seconder l'œuvre que Dieu accomplit à travers son fils. Le premier centre de l' œuvre, l'académie DYA, est inauguré en 1933 à Madrid Les initiales de l'académie DYA correspondent aux études de Droit et («y ») d'Architecture En réalité, pour le fondateur, ce sigle signifie « Dieu et audace »

Travailleur infatigable, don Josémaria sera bientôt docteur en droit canonique, en droit civil et en théologie En 1934, il publie un livre qui, revu et augmenté, paraîtra en 1939 sous le titre de Chemin et qui, en 1993, atteindra les tirages suivants. 3.818.228 exemplaires, 272 éditions en 39 langues L'ouvrage comprend 999 pensées — trois chiffres multiples de 3, en l'honneur de la Sainte Trinité. Au cours des premiers mois de la guerre civile espagnole, qui éclate le 18 juillet 1936, don Escrivá de Balaguer reste à Madrid au péril de sa vie. À la fin de l'année 1937, il franchit les Pyrénées à pied et arrive en Andorre, accompagné d'un petit groupe de ses premiers disciples. Puis il se rend à Burgos, en zone « nationaliste », et revient à Madrid en 1939, à la fin des hostilités.

Pieuse union

Le 9 mars 1941, l'évêque de Madrid, auquel s'est constamment référé don Josémaria, approuve Opus Dei comme pieuse union. Le fondateur a toujours recommandé et pratiqué l'apostolat personnel, d'amitié et de confidence. Cependant

le développement de l'œuvre entraîne des « réunions de famille » auxquelles participent parfois plus de 5 000 personnes. Par une grâce spéciale de Dieu, le grand nombre de participants n'empêche pas une réelle intimité de chacun avec le père Josémaria.

Un médecin de Cadix ne cessait de manifester sa mauvaise humeur à sa consultation de la Sécurité sociale. Un jour, il entend une conférence de don Escrivá de Balaguer. « À partir de maintenant, dit-il ensuite à sa femme, je vais traiter chaque malade comme si j'étais sa propre mère ». Des milliers de faits comme celui-là se répètent depuis le 2 octobre 1928.

La spiritualité du bienheureux Josémaria trouve son fondement dans la Sainte Écriture : « Dès le début de la Création, l'homme a dû travailler, affirme-t- il. Ce n'est pas moi qui l'invente, il suffit d'ouvrir la sainte Bible. Dès les premières pages — avant même que le péché ne fasse son apparition dans l'humanité —, on peut y lire que Dieu fit Adam avec la glaise du sol et créa, pour lui et pour sa descendance, ce monde si beau pour qu'il le travaillât et en fût le gardien (cf. Gn 2, 15)... Nous devons donc être pleinement convaincus que le travail est une réalité magnifique, qui s'impose à nous comme une loi inexorable à laquelle nous sommes tous soumis d'une manière ou d'une autre... Retenez bien ceci : cette obligation n'est pas née comme une séquelle du péché originel ; il ne s'agit pas davantage d'une trouvaille des temps modernes. C 'est un moyen nécessaire que Dieu nous confie sur cette terre, en allongeant la durée de notre vie, et aussi en nous associant à son pouvoir créateur, afin que nous gagnions notre nourriture tout en récoltant du grain pour la vie éternelle (cf. Jn 4, 36) : l'homme est né pour travailler, comme les oiseaux pour voler (cf. Jb 5, 7) ».

Le souci du travail bien fait

Participation à l'œuvre de Dieu, le travail humain doit être accompli le mieux possible : « Si nous nous efforçons, jour après jour, d'envisager nos obligations personnelles comme une requête divine, disait le bienheureux Josémaria, nous apprendrons à terminer notre travail avec la plus grande perfection humaine et surnaturelle dont nous serons capables ».

Se promenant avec des jeunes à Burgos, le père passait volontiers par la cathédrale. « J'aimais, dit-il, monter à l'une des tours et leur faire contempler de près l'arête du toit, véritable dentelle de pierre, fruit d'un labeur patient, pénible.

« Pour aimer Dieu et le servir, expliquait le bienheureux, n'est pas nécessaire défaire des choses exceptionnelles. Le Christ demande à tous les hommes sans exception d'être parfaits comme son Père céleste est parfait (Mt 5,47). Pour la grande majorité des hommes, être saint suppose de sanctifier leur travail, de se sanctifier dans leur travail, de sanctifier les autres avec le travail, et aussi de trouver Dieu sur le chemin de leurs vies ». Passant un jour devant deux jardiniers, il leur dit : « Comme vous soignez bien ces plantes, toutes ces fleurs. Que pensezvous qui vaille le plus ? Votre travail ou celui d'un ministre ? » Et, comme ils ne trouvaient rien à répondre : « Cela dépend de l'amour de Dieu que vous y mettez. Si vous mettez plus d'amour qu'un ministre, votre travail vaut davantage ».

« Au cours de ces conversations, je leur faisais remarquer que d'en bas l'on ne percevait pas cette merveille ; et, pour mieux matérialiser ce que je leur avais si souvent expliqué, je faisais ce commentaire : voilà le travail de Dieu, voilà l'œuvre de Dieu ! Achever son travail personnel à la perfection, avec la beauté et la grâce dans le détail de ces délicates dentelles de pierre. Ils comprenaient alors, devant cette réalité qui parlait d'elle-même, que tout cela était prière, magnifique dialogue avec le Seigneur. Ceux qui usèrent leurs forces dans cette tâche, savaient parfaitement que leur effort ne pourrait être apprécié à partir des rues de la ville : il était uniquement pour Dieu. Comprends-tu maintenant que la vocation professionnelle peut rapprocher du Seigneur ?»

Mais, depuis le péché originel, le travail ne se fait pas sans peine: «Ne fermons pas les yeux à la réalité, en nous contentant d'une vision des choses naïve, superficielle, qui nous mènerait à penser que le chemin qui nous attend est facile et qu 'il suffit pour le parcourir, d'avoir des résolutions sincères et un ardent désir de servir Dieu », disait don Josémaria.

Le labeur devient prière

L'union à Jésus portant sa croix favorise la transformation du travail en prière. « Soyez persuadés qu'il n'est pas difficile de convertir votre travail en un dialogue priant ', explique le bienheureux Josémaria. Vous l'offrez et vous mettez la main à l'ouvrage, et voilà que Dieu vous écoute et vous encourage Nous atteignons l'allure des âmes contemplatives, tout en étant absorbés par notre tâche quotidienne, envahis que nous sommes par la certitude qu 'II nous regarde, tout en nous demandant une nouvelle victoire sur nous-mêmes : ce petit sacrifice, ce sourire devant la personne importune, cet effort pour donner la priorité au travail le moins agréable, mais le plus urgent, ce soin des détails d'ordre, cette persévérance dans l'accomplissement du devoir alors qu 'il serait si facile de l'abandonner, cette volonté de ne pas remettre au lendemain ce que l'on doit terminer le jour même, et tout cela pour faire plaisir a Dieu, notre Père ' » Mais le travail professionnel n'est pas le seul moyen de sanctification La sainteté est également accessible à ceux qui n'ont pas, ou n'ont plus la possibilité d'employer leurs talents dans une profession (retraite, maladie, chômage).

À Rome

Le 8 novembre 1946, don Josémaria s'installe à Rome. Quelques mois plus tard, il est nommé Prélat, et reçoit désormais l'appellation de « Monseigneur » Après une vie très active, il meurt subitement dans son bureau, le 26j juin1975, et disparaît aussi « effacé » qu'il a toujours désiré l'être.

Paradoxalement, ce prêtre qui avait pour idéal « me cacher et disparaître, pour ne faire briller que Jésus seul », a exercé une influence d'une ampleur peu commune, aidant ceux qui veulent grandir dans leur amitié avec Dieu à faire des multiples circonstances de leur vie ordinaire, dans leur famille et leur travail, autant d'occasions de rencontre avec le Christ

Le 6 octobre 2002, le pape Jean- Paul II canonise monseigneur Josémaria Escrivá de Balaguer, soulignant sa grande dévotion pour la Vierge Marie.Toute sa vie, Josémaria a également vénéré saint Joseph, son patron de baptême. Honorons, nous aussi, le chef de la Sainte Famille.

+ Un moine bénédictin

Publiè dans “L’Homme Nouveau”, nº 1518, 19.5.2012, p.28