Le village d’Emmaüs

La résurrection du Christ est un fait clairement affirmé dans les Évangiles. Avec les apparitions dont furent témoins les femmes et les apôtres qui se rendirent devant le tombeau vide, les Évangiles en racontent d’autres. Saint Luc rapporte de façon touchante comment Jésus rencontre les disciples d'Emmaüs.

Empreintes de notre foi

La résurrection du Christ, qui eut lieu dimanche au petit matin, est un fait que les Évangiles rapportent clairement et de façon catégorique. Avec celles dont furent témoins les femmes et les apôtres qui se rendirent devant le tombeau vide, les Évangiles parlent d’autres apparitions. Saint Luc raconte avec des détails touchants comment Jésus rencontra les disciples d'Emmaüs. Cet épisode frappait particulièrement saint Josémaria.

Jérusalem

Voici le récit bien connu : « Or, ce même jour, deux d'entre eux se rendaient à un bourg, nommé Emmaüs, distant de Jérusalem de soixante stades, et ils causaient entre eux de tous ces événements. Tandis qu'ils causaient et discutaient, Jésus lui-même, s'étant approché, se mit à faire route avec eux; mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître » (Lc 24, 13-16).

D’après ce que rapporte saint Luc, il pourrait sembler tout simple de localiser le hameau vers lequel Cléophas et l’autre disciple se dirigeaient. Or, contrairement à ce qui se passe dans de nombreuses localités, en Terre Sainte, le passage des siècles et des événements de l’histoire n’ont pas été indifférents, de sorte que de nos jours on peut identifier plusieurs endroits correspondant à l’Emmaüs évangélique. Certains sont plus vraisemblables que d’autres non seulement parce qu’il y a un consensus des chercheurs sur ce sujet, mais aussi parce qu’ils sont toujours un lieu de pèlerinage.

“Emmaüs”: à l’ouest de Jérusalem

Le premier correspond à une ville à l’ouest de Jérusalem qui porte le nom d’Emmaüs dans l’Ancien Testament : en l’an 165 avant Jésus-Christ, l’armée séleucide de Nicanor et Gorgias qui campait dans les environs, fut mise en déroute par la rébellion juive, sous les ordres de Judas Maccabée (cf. 1 Mac 3, 38 -4, 25). À peu près à la même époque, on y bâtit une forteresse (cf. 1 Mac 9, 50), dont il y a encore des vestiges aujourd’hui. Sur la route de Jaffa à Jérusalem, à la limite de la plaine et des montagnes centrales de la Palestine, sa situation stratégique permit aux Romains d’en faire un important noyau administratif vers la moitié du premier siècle avant Jésus-Christ. Mais, en représailles contre une attaque que subit l’une de leurs cohortes, elle fut incendiée et dévastée au IVème siècle avant Jésus-Christ. Cette ville fut sans doute reconstruite vers les années 66-67 de notre ère car les historiens Flavius Joseph et Pline en parlent lorsqu’ils énumèrent les capitales du district et Vespasien en fit la conquête dans sa campagne pour mater la révolte des Juifs. Elle prit alors le nom de Nicopolis « ville de la victoire », qui fut confirmé lorsqu’elle elle reçut le titre de ville romaine, en l’an 223.

Les plus anciens témoignages de l’identification d’Emmaüs-Nicopolis au site évangélique sont du IIIème siècle : Eusèbe de Césarée, dans l’Onomasticon, recueil de lieux bibliques établi vers l’an 295, soutient qu’ « Emmaüs, d’où était originaire ce Cléophas dont parle l’Évangile de Luc, est aujourd’hui Nicopolis, une ville importante de Palestine » ; et saint Jérôme, qui confirme aussi cette thèse dans sa traduction latine du livre d’Eusèbe, nous dit qu’il a fait un pèlerinage en l’an 386 à « Nicopolis » , anciennement dite Emmaüs, où le Seigneur, fut reconnu à la fraction du pain et consacra la maison de Cléophas qui devint une église par la suite» (Saint Jérôme, Épître CVIII. Epitaphium Sanctae Paulae, 8.).

Durant la période byzantine, du IVème au VIIème siècles, Emmaüs-Nicopolis avait sans doute une nombreuse population chrétienne puisqu’elle fut un siège épiscopal. En 638, les Arabes envahirent la Palestine et conquirent la ville qui prit le nom d’Ammwas. On sait que ses habitants furent évacués deux ans après à cause d’une maladie infectieuse, toutefois elle eut son importance en tant que chef-lieu de district durant la domination islamique. En juin 1099, elle fut le dernier bastion pris par les croisés sur leur route vers Jérusalem et au XIIème siècle, sous les règnes chrétiens, on y dressa une église sur les ruines d’une basilique d’époque byzantine.

Basilique dans l’ancienne Nicopolis

Jusqu’à cette période, la tradition qui y situait la manifestation de Jésus ressuscité était gardée malgré une donnée à l’encontre du récit de saint Luc. En effet, celui-ci dit qu’Emmaüs était à soixante stades de Jérusalem alors que Nicopolis est à cent soixante stades, c’est-à-dire vingt kilomètres plus loin. Plusieurs chercheurs ont proposé différentes hypothèses pour expliquer cela, malgré tout l’identification de Nicopolis à Emmaüs perdit de sa force et son église fut abandonnée au départ des croisés. La présence chrétienne disparut de la ville jusqu’au XIXème siècle. À l’initiative de la bienheureuse Mariam de Bethléem, religieuse carmélite, on acheta en 1878 le terrain des ruines de l’église et les pèlerinages repartirent. Les fouilles archéologiques entreprises en 1880, en 1924 et celles d’aujourd’hui ont découvert les vestiges de deux basiliques byzantines et d’une église médiévale, celle des croisés, bâtie avec les pierres des ruines des deux premières.

Un autre Emmaüs, au nord de Jérusalem

Le petit village de El Qubelbeh pourrait aussi correspondre à l’Emmaüs évangélique. Il est construit sur une ancienne fortification romaine dite Castellum Emmaüs, à une distance exacte de soixante stades au nord de Jérusalem. En 1355, les Franciscains arrivés sur les lieux découvrirent quelques traditions locales permettant de l’identifier à la patrie de Cléophas. Les premières fouilles datant de la fin du XVIIIème siècle trouvèrent des vestiges d’une basilique croisée construite sur un autre édifice précédent ainsi que les traces d’un hameau médiéval. En 1902, on construisit une église néo-romane qui intégrait les vestiges intérieurs et qui est toujours débout.

"Sur nos chemins, Jésus ressuscité devient un compagnon de voyage pour raviver en notre cœur la chaleur de la foi"

« Sur nos chemins, Jésus ressuscité devient un compagnon de voyage pour raviver en notre cœur la chaleur de la foi » À Pâques, en 2008, Benoît XVI évoqua le fait que l’Emmaüs de l’Évangile n’a jamais été identifié avec certitude : « Il y a différentes hypothèses et c’est très suggestif car cela nous permet de penser qu’Emmaüs est en fait partout ailleurs: le chemin qui conduit à Emmaüs, c’est celui de tout chrétien, qui plus est, de tout homme. Sur nos chemins, Jésus ressuscité devient un compagnon de voyage pour raviver en notre cœur la chaleur de la foi et de l’espérance et rompre le pain de la vie éternelle » (Benoît XVI, Angélus, 6 avril 2008).

« Les deux disciples se rendirent à Emmaüs. Leur allure était normale, comme celle de tant d’autres personnes qui passaient dans ces parages. Et c’est là que, tout naturellement, Jésus leur apparaît et fait route avec eux pour engager une conversation qui leur fait oublier leur fatigue. J’imagine la scène, déjà tard, en soirée, avec le souffle d’une douce brise. Autour d’eux, des champs dorés de blé déjà levé, et de vieux oliviers aux branches argentées par une lumière ténue». (Amis de Dieu, n. 313).

La présence du Seigneur mit ces deux disciples en confiance et au bout de deux phrases, elle entraîna la confidence : « il comprend leur souffrance, il pénètre leur cœur, il leur communique un peu de la vie qui l’habite » (Quand le Christ passe, n. 105).

Leur espoir de voir Jésus racheter Israël s’était soldé par la crucifixion. En quittant Jérusalem, ils savaient déjà que son corps n’était pas dans son tombeau et que les femmes disaient avoir reçu l’annonce de sa résurrection par le biais de quelques anges. Ils n’y croient cependant pas. (Cf. Lc 24, 17-24), ils sont tristes, leur foi est vacillante. « Jésus leur dit alors : " Ô hommes sans intelligence et ô cœur lent à croire tout ce qu'ont dit les prophètes! Ne faillait-il pas que le Christ souffrit cela pour entrer dans sa gloire? " Et commençant par Moïse et continuant par tous les prophètes, il leur expliqua, dans toutes les Ecritures, ce qui le concernait » (Lc 24, 25-27).

Le repas d’Emmaüs de Matthias Storm, au Musée Thyssen-Bornemisza.

Quel émouvant échange ! Or « À leur arrivée au bourg, le trajet s’achève et les deux disciples qui, sans s’en rendre compte, ont été blessés au plus profond de leur cœur par la parole et par l’amour de Dieu fait homme, regrettent qu’il s’en aille. En effet, Jésus leur dit au revoir et (avait) fait semblant de poursuivre sa route (Amis de Dieu, n. 314). Toutefois, « les deux disciples le retiennent et le forcent presque à rester avec eux » (Quand le Christ passe, n. 105). Ils le prient : “mane nobiscum, quoniam advesperascit, et inclinata est iam dies” (Lc 24, 29); Reste avec nous car sans toi il se fait nuit. Jésus reste donc et « quand ils étaient ensemble à table, il prit le pain, le bénit, le rompit et le leur donna. Leurs yeux s’ouvrirent alors, ils le reconnurent mais il avait disparu. Ils se dirent entre eux : Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en nous quand il nous parlait en chemin et qu’il nous expliquait les Écritures ? » (Lc 24, 30-32).

Quand il commentait cet épisode, saint Josémaria parlait aussi de l’apostolat des chrétiens, qui, au cœur du monde, sont appelés à rendre le Christ présent dans tous les milieux de travail (cf. Quand le Christ passe, n. 105).

"Emmaüs c’est le monde entier puisque le Seigneur a ouvert tous les chemins divins de la terre ».

“Nonne cor nostrum ardens erat in nobis, dum loqueretur in via? – Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en nous lorsqu’il nous parlait en chemin ?

Si tu es un apôtre, tes collègues devraient dire de même après t’avoir rencontré sur le chemin de leur vie » (Chemin, n. 917).

"Emmaüs c’est le monde entier puisque le Seigneur a ouvert tous les chemins divins de la terre"

Le Seigneur a voulu apparaître tout simplement à Cléophas et à son camarade, comme un voyageur de plus, sans se faire reconnaître tout de suite. C’est ce qu’il fit durant ses trente ans de vie cachée.

La réaction des disciples d’Emmaüs qui sont levés sur-le-champ et qui sont revenus à Jérusalem (cf. Lc 24, 33), est aussi une leçon pour tout homme :

« Nos yeux s’ouvrent comme ceux de Cléophas et de son compagnon, quand le Christ rompt le pain ; et bien qu’il disparaisse (qu’il disparaisse) encore à nos yeux, nous serons nous aussi en mesure de reprendre la route —il commence à faire nuit —, pour en parler aux autres, entraînés par la joie qui déborde de notre cœur.

Chemin d’Emmaüs. Notre Dieu a rempli ce nom de douceur. Or Emmaüs, c’est le monde entier, puisque le Seigneur a ouvert les chemins divins de la terre ». (Amis de Dieu, n. 314).