Je suis paraplégique depuis plus de vingt ans

Guillermo Juez, biologiste, philosophe et prêtre, Espagne

Avec une licence en Sciences Biologiques, il est aussi docteur en Philosophie. À cause d’un accident de voiture, il est paraplégique depuis plus de vingt ans. Actuellement, il est l’aumônier du Lycée El Redin, à Pamplune.

Je tiens à évoquer de ce que l’exemple et les enseignements de saint Josémaria ont supposé pour moi, m’aidant à sanctifier ma maladie et à y trouver le Christ. Je dois faire une considération préalable. Durant toutes ces années, j’ai eu l’occasion de parler avec de différents malades qui avaient une expérience de la douleur plus grande que moi. J’ai compris que les malades ou les handicapés, nous avons tous un point commun : la santé nous fait défaut. Cependant, nous sommes pratiquement tous différents partout ailleurs. Ceci fait que par rapport à l’esprit de saint Josémaria, nous sommes tous frappés par un noyau commun, tout en nous servant d’aspects différents de sa vie et de ses textes, adaptés au type de notre lésion personnelle.

Par exemple, il y a quelques années, j’en parlai, à Pamplune, avec un aveugle qui devenait sourd petit à petit : il retenait des aspects de cet enseignement différents de ceux que, paraplégique, je notais moi-même. Cette constatation m’a conduit à admirer encore plus la richesse du message de saint Josémaria, dont je ne développerai ici que quelques aspects.

- Quels sont les enseignements de saint Josémaria qui m’ont le plus aidé à trouver le Christ dans ma maladie ?

Quant au sens à donner à la maladie elle-même. Il y a quelques années, lorsque j’ai quitté la clinique après mon accident, j’ai voulu faire partie d’une association de handicapés. J’ai appris que nous allions obtenir quelques avantages : suppression d’obstacles en ville, subventions. J’ai reçu quelques conseils pratiques pour le maniement du fauteuil, j’ai appris à pénétrer et à sortir de ma voiture par mes propres moyens. Tout était fort utile, mais ne touchait pas le fond du problème. En effet, il aurait fallu donner un sens à mon handicap, à ma souffrance. C’est ce que saint Josémaria m’a aidé à faire, dès le départ : « Être sur la croix c’est être le Christ et, par conséquent, être fils de Dieu» (Sillon, n° 70). Saint Josémaria rattache la croix du Christ à la joie d’être des enfants de Dieu. Jésus-Christ, le Fils de Dieu, en endurant la mort sur une croix, a racheté toute l’humanité et donné un sens et une efficacité à la douleur. C’est lorsque nous sommes sur notre croix, dans notre souffrance, que nous pouvons être davantage le Christ et, de ce fait, davantage fils de Dieu, plus aimés de Dieu notre Père. Nous sommes plus heureux parce que nous l’aidons à racheter le monde.

Si Dieu veut que mon fauteuil roulant, et tout ce qui s’en suit, m’aident à être davantage le Christ, plus aimé de Dieu mon Père et plus efficace, alors ma maladie a un sens, elle a du mérite. De ce fait, je ne suis plus heureux malgré mon fauteuil, mais bien à cause de ce fauteuil. C’est une nuance importante dont la conséquence est toute simple : je rends grâces à Dieu parce que je suis sur un fauteuil roulant.

Une anecdote vécue par saint Josémaria en Équateur, en 1974, m’a aidé à prier très souvent. Depuis plusieurs semaines, il s’investissait dans une catéchèse épuisante en Amérique du Sud. Arrivé en Équateur, il a attrapé le mal des montagnes qui a eu des conséquences très graves. Quelqu’un lui a demandé si cela n’était pas très dur pour lui. Il lui a répondu à peu près ceci : « Je suis vraiment heureux d’être à Quito ! Je suis très content. Jésus, j’accepte d’être limité ces jours-ci et toute ma vie durant, si tu y tiens. Tu me donneras la grâce, la joie et la bonne humeur pour bien m’amuser, pour te servir et pour accepter toutes ces petites bricoles dans une prière pleine d’amour ».

Je pense que nous pouvons en tirer au moins quatre conséquences : accepter la volonté de Dieu, découvrir qu’il nous donne une grâce à la mesure de nos difficultés, qu’il nous invite à les porter dans la joie, qu’il nous fait voir qu’il ne s’agit que de bricoles. Je vais essayer d’en faire un commentaire.

J’accepte de vivre limité. En quittant l’unité de soins intensifs, après mon accident, j’ai commencé les séances de kinésithérapie. J’avais beaucoup de probabilités de rester paralysé, mais il n’y avait rien de sûr. Parmi les blessés en réhabilitation, beaucoup se posaient des questions sur la durée de leur récupération et sur les éventuelles séquelles. Quant à moi, je me redisais quelque chose qui m’aidait bien : « J’accepte de vivre conditionné, paralysé, ces jours-ci, toute ma vie durant si telle est ta volonté ». J’ai pu ainsi faire face à ma réhabilitation plus tranquillement. Il s’agissait de se donner tous les moyens et de comprendre que la récupération ne se ferait ni une minute avant, ni une minute après, ni un millimètre plus loin, ni un millimètre plus près que ce que Dieu avait prévu, et que c’était ce qu’il y avait de meilleur pour moi. J’aimais à redire deux jaculatoires apprises en méditant l’exemple de saint Josémaria : « Tout est pour le bien » et « Seigneur, tu peux te servir de moi à ta guise ».

Tu me donneras la grâce, la joie et la bonne humeur. Il y a donc une grâce à la mesure de toute épreuve. Plus les situations sont dures, plus l’aide de Dieu est grande. Si avant cet accident, on m’avait dit que je serais paralysé à 29 ans, j’aurais trouvé ça très dur. Maintenant, je vois que c’est plus facile qu’on ne pourrait le croire, parce que la grâce de Dieu est plus abondante.

Le fondateur de l’Opus Dei ajoute « pour que je m’amuse ». Ce fut surprenant pour moi. Il demandait la joie et la bonne humeur dans sa maladie, pour pouvoir en rire. C’est très important, je pense. Il ne s’agit pas de supporter la croix, mais de l’aimer. L’effort pour en chercher l’aspect positif, « sympathique », de nos limites et de nos souffrances est, me semble-t-il, un exercice salutaire au point de vue spirituel et humain. Le fauteuil roulant permet souvent de s’exercer dans ce sens. Et cela devient plus aisé dans la mesure où nous avons compris que nous pouvons être le Christ dans notre souffrance. Essayer de s’unir au Christ sur la croix avec joie, me semble être un point attrayant de l’enseignement de saint Josémaria. Le Christ a souffert sur sa Croix pour nous épargner des souffrances.

L’acceptation de ces bricoles peut devenir prière. Il insiste sur les petites bricoles. Je l’interprète ainsi : « ne te plains pas, ce n’est pas la mer à boire ». Et ce, non seulement parce qu’il y a des personnes qui souffrent davantage, mais surtout, parce que Jésus-Christ est celui qui a, le mieux et le plus, enduré la souffrance.

- Comment vivre le handicap au jour le jour ?

Il s’agit de vivre tout ce dont j’ai parlé, au jour le jour. Je tiens ici à rapporter d’autres enseignements de saint Josémaria.

Fréquenter les sacrements (l’Eucharistie, la Confession) et prier. En effet, c’est des les sacrements et de la prière que l’on tire les forces pour avancer dans la vie chrétienne et pour porter un regard surnaturel sur la maladie. Je suis aidé par la méditation des pages de l’Évangile, par toute la vie du Christ, par sa Passion, concrètement, et par sa compassion pour la douleur d’autrui. Je me sers aussi des écrits de saint Josémaria et d’autres textes qui m’aident à donner un sens salvifique à ma souffrance, spécialement la Lettre Salvifici doloris de Jean-Paul II, du 11 février 1984.

Recommencer toujours sans se décourager, en sachant qu’on ne réussit jamais rien du premier coup. On y arrive plus ou moins bien.

Vous avez sans doute en tête le dialogue du fondateur de l’Opus Dei avec une dame paralysée. On le trouve sur un film pris lors d’une réunion en Argentine. Après l’avoir encouragée à offrir sa maladie, il lui donne un conseil plein de bon sens et de sens surnaturel : « Si tu as besoin de quelque chose, dis-le ». Avoir l’humilité de demander une aide matérielle ou spirituelle. Dépasser la gêne de déranger les autres. Mais demander aussi qu’on nous aide à éviter des manies, des égoïsmes, la paresse ou le caprice dans notre comportement, faciles à cultiver sous le manteau d’une maladie chronique. L’aide de nos proches est ici capitale : l’aide de la famille (à côté de l’aide médicale). Qu’il me soit permis ici de remercier l’Opus Dei ( ma famille) pour tous les soins et les égards qu’on m’y a prodigués pendant ces années et qui ont été essentiels pour m’aider à bien vivre ma maladie. C’est aussi l’héritage de saint Josémaria. Je remercie aussi la Clinique de l’Université de Navarre pour la délicatesse et le respect envers tout malade. Saint Josémaria leur a appris à y voir le Christ.

Durant les premiers mois de récupération, l’activité extérieure est réduite. On s’imagine que cela sera toujours de même. Puis on comprend que ce n’est pas la mer à boire. Les années se sont écoulées, et voici, ô surprise, que je participe à un congrès international à Rome. Je n’aurais jamais pu le croire. Lorsque je pensais que mon activité quotidienne allait être limitée, j’ai été réconforté à l’idée que « devant Dieu, aucune occupation n’est par elle-même grande ou petite. Tout acquiert la valeur de l’Amour que l’on met à la réaliser » (Sillon, n° 487).

La maladie est un travail professionnel. Il faut donc être un bon malade. Un bon paraplégique, pour ce qui me concerne. Il s’agit d’obéir aux médecins et de tâcher de développer ses qualités au maximum. Si l’on est en mesure de reprendre le volant, vaincre la peur créée par l’accident ; si possible, arriver à être autonome dans les besoins personnels, apprendre à surmonter le plus possible d’obstacles matériels. Et tout à l’avenant.

- Une conclusion

On m’a parfois demandé si je ne m’ étais pas un peu fâché avec saint Josémaria parce qu’il ne m’avait pas guéri, parce qu’il n’avait pas intercédé pour demander ma guérison.

Après tout ce que je viens d’exposer, la réponse est évidente : je suis très bien dans mon fauteuil roulant. La paraplégie (toute autre maladie) est l’occasion que Dieu nous accorde pour l’obtention d’une série de vertus surnaturelles et humaines que nous n’aurions pas acquises autrement. Il nous permet de développer — je ne dis pas que c’est facile — la patience, l’humilité, la persévérance, etc. De plus, et ce n’est pas peu, on peut purifier aisément ses propres défauts et obtenir des mérites pour aller au Ciel. C’est cette faveur-là que saint Josémaria m’a obtenue. J’ai très peu perdu au niveau physique et il m’a aidé à m’enrichir spirituellement.

Et lorsque le bon Dieu ne vous accorde pas certaines choses, il vous dit toujours : « ma grâce te suffit » (2 Co 12, 9).