L’enseignement de la déontologie du journalisme

En octobre 1940, saint Josémaria commença ses cours d’Éthique générale et de Morale professionnelle dans le cadre des “Séances de spécialisation pour les journalistes”, organisées par le Ministère de l’Intérieur, qui permirent à l’École officielle de Journalisme d’ouvrir ses portes l’année suivante. L’un de ses étudiants témoigne que “la presse était pour lui non seulement un véhicule de la culture et des idées mais essentiellement un service rendu au perfectionnement de la société”.

Saint Josémaria a fait des cours d’éthique générale et de morale professionnelle à Madrid, durant l’année scolaire 1940-41, dans le cadre d’un stage de « Formation spécialisée pour journalistes » qui fut à l’origine de l’École officielle de Journalisme1.

Peu de biographies sur le fondateur de l’Opus Dei relèvent cette donnée2 et il y a très peu de références dans les souvenirs de ceux qui vécurent avec lui durant ces années3. Ces brèves allusions permettent d’apprécier combien Josémaria Escriva était attaché au journalisme. Aussi, André Vazquez de Prada assure que ce fut « la grande importance qu’il accordait aux normes morales dans la société et spécialement dans la véracité de l’informationqui conduisit saint Josémaria à accepter de faire ces cours-là. Par ailleurs, Ana Sastre donne une information succincte du contenu de la matière impartie Éthique et morale professionnelle : il apprit « aux futurs professionnels la transcendance de leur travail et les normes qui font de cette profession un grand service humain et chrétien à toute la société 5».Francisco Ponz qui vivait avec saint Josémaria à la Résidence d’Étudiants Jenner6évoque les circonstances spéciales de cette activité de saint Josémaria : « Sans laisser tomber les demandes des évêques concernant de nombreuses activités pastorales, il se dépensait pour les autres, se dévouant inlassablement, jusqu’à l’épuisement physique. Et par-dessus le marché durant l’année 1940-41, il ajouta à ce travail exténuant, sa collaboration au stage de Formation spécialisée pour Journalistes. Il était le professeur d’Éthique et Déontologie et ses cours ont laissé chez ses étudiants un souvenir ineffaçable.

1. Une année de « Stage de Formation spécialisée pour Journalistes », banc d’essai de la future École officielle de Journalisme.

C’est donc en octobre 1940 que saint Josémaria commença à faire ses cours d’Éthique générale et de morale professionnelle dans le cadre de ce « Stage de Formation spécialisée pour Journalistes ». Pedro Gómez Aparicio, secrétaire de cette année scolaire, en parle dans un article évoquant le 35ème anniversaire l’École Officielle de Journalisme : « En ce temps-là, don José María Escriva, qui avait obtenu son doctorat en Droit à l’Université de Madrid, était un jeune prêtre aragonais, né en 1902, ayant déjà une certaine popularité dans le milieu des étudiants et des ouvriers madrilènes auxquels il était profondément attaché. Il avait fondé quelques années auparavant la société Opus Dei, peu connue encore, en dehors du petit nombre de ses associés, mais son petit ouvrage « Chemin » était déjà fort répandu. Jiménez Arnau, dont la famille était sensible à l’amitié de Josémaria, connaissait ses vertus, son savoir et ses dons pour l’enseignement. À l’époque directeur général de la Presse, il n’hésita pas à lui confier cette chaire d’Éthique professionnelle et de déontologie.8» Il ajoute par ailleurs, dans un autre article : « Je pense que cette collaboration […] ne fut ni le fruit du hasard, ni sporadique. En effet, il accordait à la presse toute la transcendance qui lui revient dans la société.

Saint Josémaria accepta sans doute cette tâche en raison de l’obéissance qu’il vouait à l’évêque de Madrid. Dans une lettre saint Josémaria écrit à Enrique Jímenez Arnau : « J’ai été nommé professeur de l’École de Journalisme. Je t’en remercie et, comme monseigneur l’évêque de Madrid montre un intérêt spécial à ce que je m’occupe de ces cours, je le ferai de très bon gré […]. 10»

2. Capacité de dialogue, attachement au métier de journaliste. Quelques témoignages personnels sur saint Josémaria en tant que professeur de déontologie du journalisme.

Spécialistes en Éthique et Droit de l’Information dans les Facultés ou dans les Écoles de Communication, nous trouvons une richesse singulière dans les enseignements sur la véracité et la responsabilité professionnelle que saint Josémaria impartit à l’époque. Ils ne découlent d’une réflexion théorique tirée des postulats du droit ou de l’analyse des codes de déontologie, déjà généralisés en ces années quarante11,mais de l’idée exceptionnelle qu’il se faisait de la profession de journaliste. Exceptionnelle par la largeur d’esprit et l’ouverture au dialogue avec lesquels il aborde toutes les activités professionnelles de la communication, mais surtout par la projection surnaturelle qui sait leur communiquer.

Voici ce que Enrique del Corral Vázquez, l’un de ses étudiants en Éthique générale et morale professionnelle, écrit à ce sujet :

« Ses cours était si bons qu’il y avait très peu d’absents. Personne ne manquait à l’appel ni à ses cours et ni aux cours d’Histoire de Jésus Pavón. Ce n’était pas le cas pour d’autres matières. »

J’ajouterais que ces étudiants-là n’avaient rien en commun avec ceux qui fréquentent actuellement les amphithéâtres des écoles de journalisme, des jeunes pour la plupart, sans aucune expérience professionnelle, avec un idéalisme naïf et blasés de tout. Il s’agissait de professionnels de tous âges et issus de toutes les professions, qui assistaient aux cours du soir, à des heures compatibles avec leurs horaires de travail et qui avaient vécu la tragédie d’une guerre civile.

Le témoignage se poursuit ainsi :

« Il nous disait souvent que nous devions être fermes dans le fond et souples dans la forme, toujours ouverts au dialogue, […]. »

Cette affirmation n’est pas à interpréter sous un rapport politique. Les témoignages étudiés montrent qu’il était évident pour tous que, ce disant, saint Josémaria leur demandait d’être personnellement ouverts et respectueux des autres, sans l’ombre d’une intolérance.

« Don Josémaria a l’idée nouvelle d’un journalisme innovant, différent de celui pratiqué jusqu’ici, magistral et solennel. Il nous enseigne une éthique professionnelle plus nette, plus ouverte, plus gaie, plus lumineuse […]

Il avait une haute estime de la dignité professionnelle de l’information.

Ses cours étaient bien loin de la leçon magistrale classique. Plus que d’un cours, il s’agissait un dialogue. Il n’y avait pas d’estrade. Dans notre argot professionnel, j’oserais dire qu’il « crevait l’écran ». Lorsqu’il parlait, on voyait l’importance de ce qu’il disait, non pas parce que c’était lui qui le disait, mais parce que l’affaire était importante en soi. Il ne faisait pas partie des professeurs qui pensent que tout ce qu’ils disent est important, parce que c’est eux qui le disent […].

Je n’en revenais pas et je pensais qu’il était impossible que cet homme si simple, si tendre, si plein d’humanité, avec qui nous étions à tu et à toi, qui s’adressait personnellement à chacun et non pas à la salle en général eût fondé l’Opus Dei. »

Pedro Gómez Aparicio12,secrétaire de l’École, se souvient de saint Josémaria parmi d’autres professeurs ;

« Je pense que ses étudiants se souviennent toujours de don José María. Il était simple, affectueux et affable, il avait un caractère ouvert, optimiste et généreux, toujours prêt à un dialogue cordial. Je crois qu’il aurait été un grand journaliste s’il n’avait pas été absorbé par ses activités apostoliques. J’ai pu en avoir la preuve dans un déjeuner que Joaquin Ruiz Gimenez, à l’époque ambassadeur près le Saint-Siège, a donné à Rome […] J’étais à table à côté de don José María. Et la conversation, brillante, ingénieuse et agréable, de mgr Escriva tourna autour de ses souvenirs de l’École, des qualités de tous ses disciples et autour d’un journalisme auquel il était profondément attaché et dont il prisait la transcendance dans la vie moderne. »

« La presse est pour lui le véhicule de la culture et des idées, mais elle est surtout une façon de servir — le mot service était toujours sur ses lèvres —, au perfectionnement de la société. Le problème de la presse n’est pas plus quantitatif que qualitatif. Le journaliste doit être un bon professionnel très responsable dans l’exercice passionné de son métier […]. 13»

Je reprends ci-après plusieurs aspects récurrents dans ces témoignages :

- « Les cours étaient bien loin de la leçon magistrale classique, plus que d’un cours, il s’agissait d’un dialogue. »

- « Il nous disait souvent que nous devions (être) […) toujours ouverts au dialogue. »

- « Il était simple, respectueux, affable ; son caractère ouvert, optimiste et généreux toujours prêt à un dialogue cordial. »

- « Un journalisme auquel il était profondément attaché et dont il prisait la transcendance dans la vie moderne. »

- « parce qu’il accordait à la presse toute la transcendance qu’elle a en tant que phénomène social. »

- « La presse est pour lui le véhicule de la culture et des idées, mais elle est surtout une façon de servir — le mot service était toujours sur ses lèvres —, au perfectionnement de la société. »

- « Le journaliste doit être un bon professionnel très responsable dans l’exercice passionné de son métier […] »

À mon avis ces enseignements étaient pour le moins surprenants dans le monde du journalisme de l’Espagne de la post guerre immédiate, où le ton pamphlétaire d’une vision unique de la réalité envahissait toutes les rédactions de la presse et de la radio14. Je crois que ce que saint Josémaria éveillait parmi ces étudiants journalistes était plutôt dans la ligne du ton positif sur l’existence et la consistance du métier de journaliste contenu dans le fameux Credo The journalist’s Creed, de Walter Williams 15que dans l’esprit de tous les schémas strictement déontologiques16dans la mouvance de l’époque. Ce n’est pas la peine de décrire le système légal espagnol concernant la presse et l’imprimerie : il était le déni des principes les plus élémentaires du journalisme.

3. L’exercice du journalisme : chemin de sainteté. Un enseignement de saint Josémaria aux étudiants de ce stage

L’idée de l’activité journalistique que se faisait saint Josémaria était exceptionnelle de par l’horizon surnaturel qu’il proposait à ceux qui l’exerçaient. Voici ce qu’en pensait Enrique del Corral Vázquez :

« (…) Il nous parlait souvent de la vocation professionnelle comme d’un appel divin. Il comparait l’appel au journalisme à la vocation sacerdotale dans ce sens que toutes les deux étaient un service à la volonté de Dieu. Il nous encourageait à voir et à transformer le journalisme à partir de cette perspective et nous faisait comprendre la responsabilité que nous avions. Il répétait fréquemment que nous ne devions pas nous comporter comme des parachutés dans le journalisme, mais que nous étions tenus d’être un ferment prêt à transformer les salles de rédactions […]. »

Comparer le journalisme au sacerdoce était une idée impensable à l’époque et elle est encore osée de nos jours. Cependant, comme saint Josémaria l’apprendrait aussi par la suite en d’innombrables occasions, c’est la vérité chrétienne qui éclaire le sens le plus profond de toutes les activités humaines :

« (…) Je puis vous dire que notre temps à besoin de restituer à la matière et aux situations les plus apparemment ordinaires, leur sens noble et originel, de les mettre au service du royaume de Dieu, de les spiritualiser, pour qu’elles deviennent pour nous le moyen et l’occasion d’une rencontre continuelle avec Jésus-Christ.

(…) Ils sont multiples, les aspects du milieu séculier où vous évoluez, qu’éclairent ces vérités. Pensez, par exemple, à l’ensemble de vos activités en tant que citoyens dans la vie civile. Un homme qui sait que le monde — et non seulement l’église — est son lieu de rencontre avec le Christ, aime ce monde, tâche d’acquérir une bonne préparation intellectuelle et professionnelle, établit en toute liberté ses propres jugements sur les problèmes du milieu où il évolue; et, par conséquent, il est maître de ses propres décisions. 17»

En comparant le journalisme et l’exercice de tout métier honnête, au sacerdoce, saint Josémaria faisait, sans aucun doute, allusion à la dimension la plus digne et la plus dignifiante de la tâche du journaliste, celle qui lui permet de ne pas se soumettre aux conditionnements économiques, politiques, ou autres : la dimension du service aux autres moyennant la diffusion de la vérité de l’information, en respectant la dignité personnelle de tous. C’est la dimension essentielle du journalisme, chemin de sainteté pour le chrétien professionnel de l’information.

Il est évident que saint Josémaria ne considère pas le journalisme comme une plate-forme de propagande pour le catholicisme. Il le voit comme une profession avec une identité propre, avec les caractéristiques du bon savoir faire qui définissent son rôle dans la vie sociale. Ce bon savoir faire, aux dires de saint Josémaria Escriva, tourne autour de l’axe de la vérité de l’information.

4. Véracité de l’information et campagnes de diffamation

Toutefois, il enseignait cette déontologie à une période marquée par une situation personnelle spéciale. Tout en exposant ces idées sur la droiture du savoir faire journalistique, il traversait un moment paradoxal très pénible. L’Opus Dei était la cible d’une campagne de diffamation. Il s’agissait bien d’une campagne bel et bien orchestrée durant les années 40-41. Ces critiques et ces malentendus aux différents prétextes et avec des voix différentes allaient se poursuivre dans les décennies postérieures, plus ou moins intelligemment divulguées, dans un ou plusieurs pays à la fois. Et c’est dans la mesure où les médias sont arrivés à être les configurateurs déterminants de l’opinion publique, qu’ils ont été les protagonistes en première ligne de ces avatars.

Saint Josémaria avait les pieds sur terre. Il n’a jamais ignoré d’où venait cette avalanche de calomnies, ni l’objectif de ceux qui la diffusaient, au point qu’il allait la qualifier lui-même de « contradiction des bons », en précisant que d’aucuns le calomniaient en pensant rendre un service à l’Église. Il en souffrit. Nous en avons de nombreux témoignages. Il n’a jamais montré la moindre rancœur, ni dans sa vie quotidienne avec les siens, ni dans son enseignement dans ce Stage de Formation spécialisée pour journalistes, ni, ce qui aurait pu être un épanchement logique, avec des amis qui avaient à l’époque une grande influence dans le journalisme espagnol.

Manuel Aznar, qui avait l’aura du meilleur journaliste du pays et qui a été toujours très ami de saint Josémaria, nous transmet une conversation qui n’est pas datée mais que l’on peut situer aux alentours des premières années quarante. Le journaliste fait allusion aux incompréhensions dont souffrait saint Josémaria, et évoque ce qu’il a toujours perçu comme des constantes de la conduite de Josémaria Escriva : le profond respect de la liberté des autres et de leur dignité ; la sensibilité à ne pas permettre que le moindre critère utilitariste, même lorsqu’il aurait pu demander qu’on le défende face à la diffamation, vienne détourner de son but l’amitié qu’il avait pour les gens. Dans un article publié par La Vanguardia, le 6 juillet 1975, juste dix jours après la mort du fondateur de l’Opus Dei, intitulé Ami de la liberté, Manuel Aznar écrivait :

« À un moment donné (mon cher Ramon Matoses était aussi présent dans cette conversation) comme il m’encourageait à lui donner mon avis sur les activités de l’Opus Dei, je me suis permis de lui dire :

- - Je crois que tu es un personnage presque inconnu (…) Imagine les problèmes que ton œuvre va connaître, puisqu’elle concerne des disciples qui sont plongés dans les passions de ce monde (…) La sainteté et le désir d’être saint dans le libre jeu et dans les remous des combats humains houleux… ! Ce que tu proposes à ceux qui te suivent est réellement extraordinaire !

- Il en sera toujours ainsi, et pas autrement.

- Et c’est pour cela que tu risques d’être maintenant même et par la suite, et pour longtemps, une personnalité méconnue, quelqu’un qu’on ignore à cause d’une déformation venant de l’extérieur, une énigme, un être un peu mystérieux.

- Peu importe, si avec ça nous faisons des pas vers la promotion de la liberté humaine et vers la conciliation du naturel avec le surnaturel.

Voilà comment vous parlait habituellement don Josémaria Escriva de Balaguer. Sa vie se déroulait dans ce climat d’amour et d’espérance. »

Avec cet amour de la liberté, écrit Manuel Aznar, caractéristique si importante du journalisme pour saint Josémaria, il y en avait une autre : la capacité de dialoguer :

- « Il nous disait souvent que nous devions (être) (…) toujours ouverts au dialogue. »

- « Il était simple, respectueux et affable ; il avait un caractère ouvert, optimiste et généreux, toujours prêt à dialoguer cordialement. »

Tel était saint Josémaria dans ce « stage de formation spécialisée pour journalistes » d’après ce qu’en témoignent ceux qui ont partagé avec lui l’amphithéâtre, la salle des professeurs et son amitié.

- « Notre Seigneur Jésus a tant aimé les hommes qu'Il s'est incarné, qu'Il a pris notre nature, et a vécu au contact direct des pauvres et des riches, des justes et des pécheurs, des jeunes et des vieux, des Gentils et des Juifs.

Il a dialogué sans cesse avec tous: avec ceux qui L'aimaient bien, et avec ceux qui ne cherchaient que le moyen de fausser ses paroles, afin de pouvoir Le condamner.

— Efforce-toi de te comporter comme le Seigneur. »

Beaucoup d’écrits du fondateur de l’Opus Dei reflètent des expériences personnelles et celle dont nous parlons est évoquée dans ce point 558 de Forge18.

Il avait les pieds sur terre et il prisait le journalisme parce qu’il voyait la grande tâche en faveur de la liberté et de la dignité humaine à laquelle est appelée la communication sociale. Dans une interview publiée dans la « Gazeta Universitaria », à Madrid, il décrit avec une acuité magistrale le panorama réaliste de l’activité des journalistes. Sa vision des principales insuffisances de la profession est sans doute un peu crue, mais en même temps son réalisme est ouvert à l’espérance parce, en tout état de cause, le journalisme sera toujours entre les mains de ses professionnels.

« C'est une grande chose que le journalisme, et le journalisme universitaire. Vous pouvez fortement contribuer à éveiller chez vos collègues l'amour des nobles idéaux, le désir de surmonter l'égoïsme personnel, la sensibilité pour les activités collectives, la fraternité. Et maintenant je ne puis manquer, une fois de plus, de vous inviter à aimer la vérité.

Je ne vous cache pas que la tendance au « sensationnalisme » de certains journalistes qui ne disent la vérité qu'à moitié me repousse. Informer n’est pas à rester à mi-chemin entre la vérité et le mensonge. Ça n’a rien de moral, ce n'est pas de l’information, et ceux qui mélangent des demi vérités avec pas mal d’erreurs, ou avec des calomnies préméditées, non rien à voir avec des journalistes. On ne peut les qualifier de journalistes parce qu'ils ne sont qu'une pièce dans l'engrenage — plus ou moins lubrifié — de n'importe quelle organisation qui propage des erreurs et qui sait qu'elles seront répétées à satiété, sans mauvaise foi mais par l'ignorance et la stupidité du grand nombre.

Je dois vous avouer que, pour ce qui me concerne, ces faux journalistes y gagnent : il ne se passe, en effet, pas un seul jour sans que je ne prie affectueusement le Seigneur pour eux, en lui demandant d'éclairer leur conscience.

Je vous demande donc de diffuser l'amour de ce bon journalisme, qui ne se contente point de rumeurs non fondées, des on-dit inventés par des imaginations surchauffées. Informez avec des faits, des résultats, sans juger des intentions, plaçant les opinions légitimement diverses sur le même plan, sans vous abaisser à l'attaque personnelle. Il y aura très difficilement de vraie coexistence là où fait défaut la véritable information, et l'information vérace est celle qui ne craint pas la vérité et qui ne se laisse pas emporter par l’envie de grimper, du faux prestige, ou par l’appât du gain.19»

5. Ce qu’il a apporté au journalisme

Saint Josémaria avec son message « la sainteté est pour tous » a contribué de façon unique à la redécouverte de la perspective chrétienne des activités temporelles.

Faire comprendre que « le monde, et non seulement le temple, est notre lieu de rencontre avec le Christ20», que la compétence professionnelle spécifique, la formation des propres critères sur le milieu où l’on évolue, l’exercice de la liberté et la responsabilité individuelle dans tout type d’activité — le journalisme y compris, bien évidemment—, que tout cela est une voie que Dieu veut que nous parcourions afin de construire un monde — et un journalisme— plus humain, fut la clé de voûte de son enseignement dans ce Stage de formation pour journalistes, à Madrid et c’est aussi le centre de la spiritualité laïque que l’Opus Dei diffuse de par le monde.

L’amour de la liberté, de la vérité, la défense du respect de la dignité de l’être humain de Josémaria Escriva ont permis que de nombreux professionnels du journalisme et de la communication soient spécialement sensibles devant des situations d’injustice qu’ils trouvent au quotidien dans l’exercice de leur métier. En définitive, je pense que saint Josémaria nous a permis de comprendre que toutes les activités professionnelles de la communication sont d’une grande influence pour une coexistence sociale dans la liberté.

Ana Azurmendi, Professeur Agrégée en Droit de l’Information Faculté de Communication. Université de Navarre.

Notes

1. Ce stage de formation spécialisée pour journalistes fut institué par une ordonnance du Ministère du Gouvernement, le 24 août 1940 (Bulletin officiel de l’état : n° 257, 13 septembre) ; par une autre ordonnance du 17 novembre 1941, le vice secrétariat à l’Éducation créa l’École officielle de journalisme. Cette continuité est telle que Pedro Gómez Aparicio, secrétaire de ce stage, dans un article publié dans « La Hoja del Lunes », journal madrilène, le 14 juillet 1975, évoque les trente cinq ans de l’École officielle de Journalisme, en y incluant l’année 1940-41. Ce n’est qu’en 1972 que les premières Facultés universitaires des Sciences de l’Information virent le jour en Espagne.

Voici les biographies qui en parlent : A.VAZQUEZ DE PRADA, Le fondateur de l’Opus Dei. Mgr Josémaria Escriva de Balaguer (1902-1975), pages 430-431 (Le Laurier-Paris, Wilson Ed.Lafleur-Montréal, pages 459-460) ; ANA SASTRE, Tiempo de caminar. Semblanza de Monseñor Josemaría Escrivá de Balaguer (Rialp, Madrid 1989), p. 251.

2. Voir, parmi les souvenirs des fidèles de l’Opus Dei qui ont vécu avec saint Josémaria : F.FONZ, Mi encuentro con el Fundador del Opus Dei. Madrid, 1939-1944 (Eunsa, Pamplona 2000), p. 76.

3. A.VAZQUEZ DE PRADA, o.c. pages 459-460

4. A. SASTRE, o.c. p. 251.

5. Voici les commentaires de José Orlandis sur la Résidence d’Étudiants Jenner et sur les fidèles de l’Opus Dei de l’époque : « Il y avait […] à Jenner une trentaine de résidents, pour la plupart des membres de l’Opus Dei à Madrid, pratiquement tout le staff de l’Œuvre à l’époque. Des personnalités saillantes, tous jeunes, dont peu avaient atteint la trentaine : le membre le plus ancien de l’Œuvre, Isidore Zorzano, ingénieur industriel, le physiologue Juan Jímenez Vargas, le physicien chimiste, José María González Barredo, Ricardo Fernández Vallespín, architecte et José María Albareda, grand promoteur de la recherche scientifique espagnole, qui avait sollicité son admission à l’Œuvre dans les catacombes de ce tragique Madrid de 1936-1937. D’autres étaient encore plus jeunes, parmi lesquels il y avait Alvaro del Portillo, secrétaire général de l’Opus Dei, dont l’existence allait être historiquement associée à celle de la personne du fondateur, et l’ingénieur des Mines, José María Hernández de Garnica, gravement malade des suites de ses souffrances dans les prisons républicaines pendant la guerre civile. Très loin de la trentaine, il y avait le mathématicien Francisco Botella et Pedro Casciaro, son camarade à la Faculté de Sciences Exactes et Architecture, responsable principal de la décoration de la résidence, d’un humour exquis et d’un bon goût renommé et dont le père, professeur titulaire de tendance libérale républicaine, avait dû s’expatrier à la fin de la guerre d’Espagne. Plus jeune encore, Vicente Rodriguez Casado, qui créerait par la suite l’École d’études Hispano-américaines de Séville et l’Université de la Rábida. Ils faisaient partie de l’Oeuvre, avec d’autres, depuis quelques années. J’ai aussi fait la connaissance de membres de l’Œuvre qui venaient de demander l’admission : le très jeune Fernando Valenciano, qui voulait intégrer l’École des Ponts et Chaussées, José Luis Múzquiz de Miguel, qui avait décroché son diplôme d’ingénieur des Ponts et Chaussées, avant la guerre, Fernando Delapuente, ingénieur industriel, qui dirigeait à l’époque une entreprise sucrière et qui deviendrait un peintre très connu et Francisco Ponz Piedrafita, de Huesca, par la suite Professeur Agrégé titulaire à l’Université de Barcelone et Recteur de l’Université de Navarre. » Dans Años de juventud en el Opus Dei (2 éd. Rialp, Madrid, 1993) p. 66.

6. F.PONZ, o.c., p. 76.

7. P.GOMEZ APARICIO, dans son article Termina la Escuela Oficial de Peridismo, dans « La Hoja del Lunes », Madrid, 14 juillet 1975.

8. P.GOMEZ APARICIO, Por los caminos de la santidad dans « La Vanguardia », Barcelone, 21 juillet 1976.

9. Lettre documentée à l’Institut d’Études José María Escrivá de Balaguer, de l’Université de Navarre (Espagne), EF-410122-1.

10. N.A. CRAWFORD, (The Ethics of Journalisme ed. Vall-Ballou Presse, New-York, 1924), recense déjà quatorze codes éthiques des journaux des États-Unis. En Europe, le témoignage le plus important de ce souci croissant pour la déontologie du journalisme est la Lettre Professionnelle du journaliste, approuvée par le syndicat national des journalistes français en 1918, actualisée et réformée en 1939. Elle se trouve, entre autres, dans Les Journalistes. Statut, Responsabilités (éd. Delmas, Paris 1994) 54-55.

11. Article Termina la Escuela Oficial de Periodismo, dans « La Hoja del Lunes », Madrid, 14 juillet 1975.

12. Article Por los caminos de la santidad, publié dans « La Van.guardia », Barcelone, 21 juillet 1976.

13. Sous le régime franquiste, la presse était une institution de plus du pouvoir politique. Le texte publié, entre autres, dans l’Annuaire de la presse espagnole, édité par la Direction Générale de Presse, 1945-1946 est révélateur en ce sens : « ‘La Presse nationale’ déjà incorporée aux commandes des pouvoirs de l’État, on ne pouvait par conséquent pas parler d’un quatrième pouvoir, ni l’exercer, en dehors des lignes tracées par le politique et dans un but étatique. La philosophie qui inspirait le Movimiento oubliant ses échecs antérieurs en la matière, ne laissait pas à l’initiative privée, — dans le marché concurrentiel de la nouvelle—, cette force vitale si nécessaire au tracé politique qui devait permettre à l’Espagne de se développer en tant que nation. Aussi la Presse était-elle liée à la Nation et devenait une institution indispensable: l’institution du service public de la nouvelle. Ce secteur était dans la sphère de l’Administration de l’État, tout comme tant d’autres services publics. La Nation a le droit d’avoir à son service une presse objective, vérace et collaborant aux fins du Movimiento, qui sont celles de l’État espagnol (…) » Texte recueilli par C.BARRERA ; El periodismo español en su historia (Ed. Ariel, Barcelona 2000) page 189.

14. Il a une haute estime du journalisme et une vision toujours positive de sa réalité et c’est dans ce sens-là qu’il est proche du « Credo des journalistes » plus que des principes ou de l’idéologie de cette charte. En dehors des professionnels, très peu de gens avaient, à cette période-là, cette estime et cette idée positive. Walter Williams était un journaliste vétéran du Missouri (Etats-Unis) et l’Association de la Presse de cet état le choisit comme premier doyen de l’École de Journalisme de l’Université du Missouri, entre 1908 et 1935. C’était la première université à impartir un enseignement du journalisme. Son credo des journalistes est l’un des symboles classiques du bon savoir faire de la profession. Actuellement, l’École de Journalisme de l’Université du Missouri le distribue toujours dans des tirés à part comme étant l’insigne du véritable journalisme :

« I believe in the profession of journalism.

I believe that the public journal is a public trust; that all connected with it are, to the full measure of their responsibility, trustees for the public; that acceptance of a lesser service than the public service is betrayal of this trust.

I believe that clear thinking, and clear statement, accuracy, and fairness are fundamental to good journalism.

I believe that a journalist should write only what he holds in his heart to be true.

I believe that suppression of the news for any consideration other than the welfare o society is indefensible.

I believe that no one should write as a journalist what he would not say as a gentleman; that bribery by one’s own pocketbook is as much to be avoided as bribery by the pocketbook of another’s instruction or another’s dividends.

I believe that advertising, news, and editorial columns should alike serve the best interests of the readers; that a single standard of helpful truth and clearness should prevail for all; that the supreme test of journalism is the measure of its public service.

I believe that the journalism which succeeds best –and the best deserves success- fears God and honours man; is stoutly independent, unmoved by pride of opinion, or greed of power; constructive, tolerant, but never careless; self-controlled, patient, always respectful of its readers, always unafraid; is quickly indignant at injustice; is unswayed by the appeal of privilege, or the clamour of the mob; seeks to give every man a chance, and, as far as law and honest wages and recognition of human brotherhood can make it so, an equal chance; is profoundly patriotic, while sincerely promoting international good will, and cementing world comradeship; is a journalism of humanity, of and for today’s world ».

Version tirée de A. KNOPF, The Ethics of journalism (ed. Vall-Ballou Press, New York 1924)239-240.

15. La Lettre Professionnelle du journaliste dont nous avons parlé en est l’un des textes représentatifs. Elle fut approuvée par le Syndicat national des journalistes français en 1918 et actualisée et réformée en 1939. Il s’agit d’un catalogue d’actions à éviter. Elle laisse entrevoir la dignité du métier de journaliste mais elle la ternit en dressant la liste des risques, des abus et des insuffisances sur lesquels elle insiste longuement.

« Un journaliste digne de ce nom :

prend la responsabilité de tous ses écrits; tient la calomnie, les accusations sans preuve, l'altération des documents, la déformation des faits, le mensonge, pour les plus graves fautes professionnelles; ne reconnaît que la juridiction de ses pairs, souverains en matière d'honneur professionnel; n'accepte que des missions compatibles avec la dignité professionnelle; s'interdit d'invoquer un titre ou une qualité imaginaire, d'user de moyens déloyaux, pour obtenir une information ou surprendre la bonne foi de quiconque; ne touche pas d'argent dans un service public ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations soient susceptibles d' être exploitées; ne signe pas de son nom des articles de réclame commerciale ou financière; ne commet aucun plagiat; cite les confrères dont il reproduit un texte quelconque; ne sollicite pas la place d'un confrère ni ne provoque son renvoi en offrant de travailler à des conditions inférieures; garde le secret professionnel; n'use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée; revendique la liberté de publier honnêtement ses informations; tient le scrupule et le souci de la justice pour des règles premières; ne confond pas son rôle avec celui du policier. »

16. Homélie Aimer le monde passionnément, prononcée sur le campus de l’Université de Navarre, le 8 octobre 1967, publiée dans Entretiens avec mgr Escriva de Balaguer, Le Laurier, Paris (1968).

17. J.ESCRIVA DE BALAGUER, Forge (éditions du Laurier-Paris) . Dans la présentation de cet ouvrage, Alvaro del Portillo précise : « Forge a 1055 points de méditation, répartis en treize chapitres. Beaucoup de ces points sont très nettement autobiographiques : des notes prises par le fondateur de l’Opus Dei dans des cahiers spirituels qui n’étaient pas un journal et qu’il a tenus durant les années trente. »

18. Interview accordée à Andrés Garrigó, dans Gaceta Universitaria, Madrid, 5 septembre 1967, publiée aussi dans Entretiens avec mgr Escriva de Balaguer, Le Laurier 1968, n° 86. Dans un autre entretien accordé à Peter Forbath, correspondant du « Time » de New-York, et publiée le 15 avril 1967 (qui se trouve aussi dans le recueil d’Entretiens avec mgr Escriva de Balaguer, n° 30), il parle très concrètement de la diffamation subie à plusieurs reprises successives : « Il ne faut cependant pas s'étonner si, de temps à autre, les vieux mythes se réveillent, car nous essayons de travailler pour Dieu, en défendant la liberté personnelle de tous les hommes. Nous aurons donc toujours contre nous les sectaires — de tous bords — ennemis de cette liberté personnelle, d'autant plus agressifs qu'il s'agit de personnes qui ne peuvent supporter la simple idée de religion, et plus encore qui s'inspirent d'une pensée religieuse empreinte de fanatisme.

Néanmoins, fort heureusement, la plupart des publications ne se contentent plus de répéter ces vieilles et fausses histoires ; la plupart d'entre elles ont clairement conscience qu'être impartial, ce n'est pas diffuser des choses qui sont à mi-chemin entre la réalité et la calomnie, mais s'efforcer de refléter la vérité objective. Personnellement je pense que dire la vérité, c'est aussi une nouvelle « qui fait la une », spécialement lorsqu'il s'agit de renseigner sur l'activité des membres de l'Opus Dei ou des personnes qui collaborent avec elle et qui tâchent, en dépit de leurs erreurs personnelles — j'en commets et je ne m'étonne nullement que les autres en fassent autant —, de travailler au service de tous les hommes. Il est toujours intéressant de détruire les faux mythes. Je considère que tout journaliste est gravement tenu de se documenter correctement pour être à jour, dût-il parfois modifier des jugements antérieurs. Est-il donc si difficile d'admettre qu’il y a du bon, du propre, du noble, sans y mêler de vieilles absurdités, tombées dans le discrédit ? »

19. Homélie Aimer le monde passionnément, dans Entretiens avec mgr Escriva de Balaguer, o.c numéros 116-117.

20. Ibidem.

Atti del Congresso internazionale "La grandezza della vita quotidiana", Vol. XII Communication and Citizenship, EDUSC, 2004.