La beauté théologique d’une statue

Ces réflexions théologiques sur la statue de saint Josémaria à Saint-Pierre de Rome, que j’ai ébauchées à l’occasion de la présentation du livre sur cette œuvre monumentale de Romano Cosci pour la basilique, partent d’une question simple : pourquoi saint Josémaria est-il représenté en vêtements liturgiques ?1. On dira : d’un point de vue esthétique, la chasuble ample, dégagée, donne au marbre de l’élan, du mouvement ; le vêtement échappe à l’usure du temps, puisque c’est un habit sacerdotal depuis le IVème siècle ; saint Josémaria est en train de prêcher, après la lecture de l’Évangile : ses mains sont expressives, convaincues ; « la force de Dieu pour le salut » (Rm 1, 16) l’habite.

Mais il y a, à mon avis, d’autres raisons qui donnent leur sens au choix qui a été fait. On justifie parfois a posteriori des options architecturales par des élucubrations fumeuses et nombreux sont les poètes qui, s’ils étaient encore en vie, s’étonneraient des intentions subtiles qu’on prête à leurs vers. Je ne pense pas toutefois m’aventurer imprudemment en avançant quelques explications théologiques. Elles me permettront d’aborder des questions à la fois passionnantes et actuelles d’une grande transcendance, qui se trouvent résumées dans une phrase de l’Évangile selon saint Jean gravée sur le marbre de la statue : « Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12, 32). Ces questions sont au cœur même de la nature humaine et touchent ce qui est essentiel dans le message chrétien : culte, liturgie, travail, art, amour, temps, éternité.

1. Le culte spirituel

Au centre de la relation de l’homme avec Dieu se trouve la notion de culte. La personne humaine est créée pour rendre un culte à Dieu, l’adorer dans son unité et sa trinité, s’unir à lui, communier à son amour : entrer dans sa gloire, en

participant à la filiation divine de Jésus par l’Esprit. L’homme trouve sa plénitude et son bonheur dans cette glorification de Dieu. « Car –dit saint Irénée- la gloire de Dieu c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme c’est la vision de Dieu » ; et il ajoute : « la manifestation du Père par le Verbe donne la vie à ceux qui voient Dieu » 2. Le Christ n’est-il pas la gloire du Père (cf. Jn 1, 14 ; 5, 44 ; 7, 18) ?

Au temps du Christ, le peuple juif attachait une importance particulière au Temple de Jérusalem. Dans son dialogue avec une femme, qui comme Samaritaine niait le rôle de ce Temple, Jésus affirme qu’il faut adorer Dieu « en esprit et en vérité » (Jn 4, 25), plutôt qu’en un lieu exclusif concret. Les dimensions du Temple s’élargissent donc au monde entier. Dieu attend de nous un culte spirituel, celui de notre existence. Dans le récit de la Genèse, un mot qui en hébreu a la même racine que le mot « culte », « cultiver », désigne la vocation humaine : Dieu établit l’homme dans le jardin d’Éden « pour le cultiver et le garder » (Ge 2, 15). Pendant longtemps, beaucoup d’auteurs ont amoindri voire déformé la portée de ce texte. Bossuet, par exemple, commente que « la culture donnée à l’homme pour son exercice était cette culture comme curieuse, qui fait cultiver les fruits et les fleurs, plus pour le plaisir que pour la nécessité » 3. Plus de deux siècles auront passé quand saint Josémaria lira la Genèse sous une tout autre lumière : une grâce de Dieu lui fait comprendre que le travail est un chemin de sainteté, que chacun est prêtre de sa propre existence (cf. 1 P 2, 5), que l’autel de l’artiste peintre, par exemple, c’est son chevalet et celui du chirurgien, la table d’opération. Par son travail, l’homme imite les trente années de vie cachée du Seigneur artisan (cf. Mc 6, 3), fils du charpentier (cf. Mt 13, 55). « Mon Père travaille, dit le Christ, et moi aussi je travaille » (Jn 5, 17). La vocation professionnelle est inscrite dans le cœur de l’homme.

Qu’est-ce que la sainteté ? C’est la gloire de Dieu, son amour si fort qu’il se communique à nous : tout rapporter à Dieu, le louer en tout, « laisser Dieu agir » en nous, disait le Cardinal Ratzinger en commentant l’expérience spirituelle et le message de saint Josémaria4. Dieu attendrait-il de nous que nous passions nos journées dans des églises et des monastères ? Évidemment pas. C’est notre lieu de travail qui devient temple de Dieu ; mieux, c’est notre être même qui est la maison de Dieu. Quel est ce nouveau culte que nous sommes invités à rendre ?

C’est un culte dans lequel, comme au sacrifice de la Croix, le prêtre, la victime et l’autel se confondent. Il s’agit de l’offrande de soi à Dieu dans la vie ordinaire. L’amour divin est si fort, Dieu nous aime tant qu’il veut non seulement que nous lui donnions tout ce que nous avons, et notre existence même, mais surtout que nous nous donnions nous-mêmes, en réponse à son amour. Ce qu’il nous demande est déjà inscrit dans notre cœur. Il ne s’agit pas de préceptes extérieurs, artificiels, ni même de règles simplement logiques, comme par exemple celles du code de la route. Le chrétien vit d’abord à partir d’une foi qui se traduit dans l’amour de Dieu et du prochain et s’épanouit dans une morale qui ne l’enferme pas. Saint Josémaria aimait cette invitation de saint Pierre parlant du Christ, pierre vivante, et de son peuple saint : « Approchez-vous de lui, pierre vivante certes rejetée des hommes, mais élue et précieuse devant Dieu. Et vous-mêmes, comme des pierres vivantes, soyez édifiés en maison spirituelle pour former un sacerdoce saint, afin d’offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus Christ » (1 P 2, 4-5). L’holocauste du travail, de la joie, de la fatigue, du repos, voilà l’hostie immaculée offerte au Seigneur ; telles sont les paroles de saint Josémaria quand il commente la lettre de saint Paul aux Romains : « Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos corps en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu : c’est là votre culte raisonnable » (Rm 12, 1). C’est le culte logique, raisonnable, conforme au Logos ; c’est encore un culte qui convient à notre nature humaine, car nous formons, pour reprendre le mot de Pascal, « un corps plein de membres pensants » 5, et nous devons aussi penser pour apprendre à aimer.

« Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? », se demande le Psalmiste. « J’élèverai la coupe du salut, j’invoquerai le nom de Dieu » (Ps 116 [114-115], 12-13). Tout est dit ! Le rite d’action de grâces de la liturgie juive culmine dans le calice du Sang du Christ de la liturgie chrétienne, et dans le culte spirituel, exercice de la charité, comme l’explique saint Augustin : « Recevoir le calice du salut et invoquer le nom du Seigneur, c’est être comblé de charité, et l’être de telle sorte que non seulement on ne haïsse pas son frère, mais qu’on soit prêt à mourir pour son frère » 6.

Les lettres de saint Pierre et de saint Paul parlent donc de ce culte spirituel, qui puise sa source et trouve son sommet dans le culte par excellence : la liturgie eucharistique. En effet, Jésus, le Verbe incarné, s’y offre lui-même à son Père pour notre salut. Ce culte est si important que le sacerdoce ministériel est totalement orienté vers lui. Il réunit et prolonge à la fois, dans un nouvel accomplissement, la synagogue et le Temple : la lecture de la Parole, qui suscite notre prière, et l’offrande du pain et du vin, qui deviennent le Corps et le Sang du Verbe incarné.

2. Le vêtement sacerdotal

Je reviens à la question posée : pourquoi saint Josémaria est-il revêtu des ornements liturgiques ? Il s’agit de la statue d’un prêtre. Lors de la cérémonie d’ordination presbytérale, immédiatement après la prière d’ordination que l’évêque prononce, les nouveaux prêtres sont revêtus de la chasuble, avant que leurs mains ne reçoivent l’onction du chrême. La chasuble est précisément l’ornement que l’on porte pour dire la Messe, laquelle rend présent l’unique sacrifice du Christ. La prière d’ordination mentionne Aaron : l’Église voit dans son sacerdoce et dans le service des lévites la préfiguration du sacerdoce ordonné de la Nouvelle Alliance.

Qu’en était-il des vêtements des grands prêtres de l’Ancienne Alliance ? Dans l´Écriture nous traduisons souvent par « tunique » le mot grec « citwn », transcription de l’hébreu « kuttonet ». Le Lévitique, décrivant le rituel d’investiture du grand prêtre, raconte que Moïse revêt Aaron d’une tunique (cf. 8, 7). Dans la liturgie du Temple, le grand prêtre portait une tunique tissée d’une seule pièce, ainsi que l’atteste l’historien Flavius Josèphe. Il est possible que ce fut celui que Caïphe déchira après que le Christ eut affirmé son identité (cf. Mc 14, 63). Jésus Christ, « grand prêtre des biens à venir » (He 9, 11), « avec son propre sang entré une fois pour toutes dans le Saint des Saints, après avoir acquis une rédemption éternelle » (He 9, 12), portait une « tunique sans couture, tissée d’une seule pièce depuis le haut » (Jn 19, 23) : saint Jean souligne ainsi que Jésus est à la fois prêtre et victime. C’est le Christ qui « préside invisiblement toute célébration eucharistique » 7. Le prêtre y agit in persona Christi capitis8, en la personne du Christ Tête de son Corps, qui est l’Église : il rend visible la présence de l’Église9.

La première « tunique » dont l’homme et la femme furent revêtus appartient au récit de la Genèse : ce sont ces énigmatiques « tuniques de peau » (Ge 3, 21) que Dieu fit pour Adam et Ève après la chute originelle, avant leur expulsion du paradis. On sait que saint Grégoire de Nysse interprète ces tuniques comme les symboles de la vie biologique, le baptême étant une nouvelle tunique10. Le Cantique des Cantiques demande : « J’ai ôté ma tunique, comment la remettrai-je ? » (Ct 5, 3). Jean Daniélou en consigne dans ses Carnets spirituels une lecture sans doute personnelle, mais conforme à la vision des Pères : « Que toutes mes actions soient baignées dans ce ciel de la familiarité divine, revêtues de l’onction de l’Esprit Saint, de la tunique baptismale, de la chasuble sacerdotale : toute sainte »11. Cette nouvelle tunique du Cantique est la tunique de gloire citée par le Siracide, la « stola gloriae », « citwn doxhs » (cf. Si 6,30.32 ; 15, 5 ; 45, 9.12), qui atteste la présence de l’esprit et permet l’entrée au festin. Quelle est cette gloire divine, sinon l’amour que Jésus donne aux siens ? « Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux et toi en moi (...) afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux » (Jn 17, 22.26). Le mot hébreu « kabod » évoque la « gravitas », la pesanteur de la force, de la dignité, de l’honneur du roi : la gloire de Dieu c’est le poids irrésistible de son amour. Le dépouillement des vieilles tuniques est ainsi la disparition de la honte, celle de l’homme pécheur devant Dieu, et la récupération du sentiment opposé, la « parrhsia » ou confiance filiale (cf. Ep 3, 12). Cette vertu nous donne la hardiesse de nous approcher de Dieu et en particulier d’accepter sa Volonté, comme le Christ sur la Croix.

Ainsi la chasuble, vêtement sacerdotal par excellence, évoque-t-elle à la fois la continuité entre les deux Testaments et l’identification du prêtre au grand prêtre éternel, le Christ. Saint Josémaria est donc représenté dans la tenue qui symbolise parfaitement sa raison d’être : la liturgie eucharistique, où Jésus Christ s’offre au Père par amour. Le prêtre y participe d’une manière spéciale à la filiation divine du Fils unique. Voici comment saint Josémaria, méditant sur les paraboles du trésor caché et de la perle (cf. Mt 13, 44-45), va de la gloire à la kénose suprême de l’Eucharistie : « La Gloire, pour moi, c’est l’Amour, c’est Jésus, et, avec Lui, le Père –mon Père- et l’Esprit Saint –mon Sanctificateur-. J’ai considéré ce qu'il y a de plus beau et de plus grand et de plus attrayant au monde..., ce qui plaît à l'intelligence et aux autres facultés,... et ce qui est plaisir de la chair et des sens... Et le monde, et les autres mondes, qui brillent dans la nuit : l'Univers entier. - Eh bien! tout cela, avec l'assouvissement de toutes les folies du cœur..., tout cela ne vaut rien, n'est rien et moins que rien à côté de ce Dieu - mon Dieu !, trésor infini, perle très précieuse, Dieu humilié, Dieu esclave, réduit à l'infime condition de serf dans la crèche où Il voulut naître, dans l'atelier de Joseph, dans la Passion et dans la mort ignominieuse... et dans la folie d'Amour de la sainte Eucharistie »12. Le « vêtement » du Verbe incarné, Personne divine, vrai Dieu et vrai homme, ce sont tour à tour les langes de Bethléem, la tenue de travail dans l’atelier de Joseph, la tunique sans couture du prêtre, la pourpre royale de la flagellation, le linceul, le pain eucharistique. À chaque étape, c’est l’amour que ce vêtement symbolise, jusqu’au don de soi comme pain de vie dans la Messe.

Le moment est venu de nous interroger sur ce qu’est essentiellement la liturgie, centre de la vie du prêtre.

3. La liturgie eucharistique

Qu’est-ce que la liturgie ? La question a fait couler beaucoup d’encre, en particulier depuis un siècle : on a parlé notamment de la Messe comme d’un repas, en référence au banquet pascal du jour de l’institution, le jeudi saint ; on l’a qualifiée d’assemblée où se retrouvent les chrétiens : « qahal » en hébreu, « ekklhsia » en grec, signifie « convocation », « rassemblement » ; la notion de mémorial a été mise en valeur, puisque la Pâque juive célèbre la libération d’Égypte. Dans différents écrits, d’abord comme théologien, puis comme Pape, Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI, a offert une synthèse de ces débats. Il conclut, dans le droit fil des Pères de l’Église, que la liturgie est essentiellement une prière, une adoration : une oraison, avec un contenu principalement sacrificiel et une dimension conviviale.

En effet le banquet pascal juif au temps du Christ était déjà bien différent d’un repas normal ; les juifs y récitaient des prières de bénédiction et des psaumes. En continuité et en rupture à la fois avec cette tradition, le Christ profère des paroles nouvelles et fait de nouveaux gestes, car la première cène anticipe sur le sacrifice du Calvaire. Dans la liturgie de l’Eucharistie, le mystère pascal est rendu présent : passion, mort, résurrection, ascension du Christ et session à la droite du Père.

Par conséquent il y a dans l’Eucharistie un grand mystère, le mystère du Christ. Notre attitude face à ce mystère, c’est la contemplation et le respect de ce qui ne nous appartient pas, c’est-à-dire de ce qui est sacré. La liturgie de la Messe est donc avant tout une action de Dieu et une prière. « Nul ne peut dire : ‘Jésus est le Seigneur’, si ce n’est par l’Esprit Saint » (1 Co 12, 3) et « c’est l’Esprit Saint répandu dans nos cœurs qui dit ‘Abba, Père’ » (Ga 4, 6). C’est l’Esprit qui nous fait prier, comme l’enseigne l’Église : « La prière est action de Dieu et de l’homme ; elle jaillit de l’Esprit Saint et de nous, toute dirigée vers le Père, en union avec la volonté humaine du Fils de Dieu fait homme » 13. Voila des notions clés à l’époque de la rénovation liturgique amorcée en 2003 et de l’encyclique de Jean-Paul II Ecclesia de Eucharistia.

Ce qui est essentiel dans l’Eucharistie, c’est la présence du Christ, comme l’a souligné Sacrosanctum Concilium14. Il s’agit d’une présence sacramentelle, mystérieuse mais non moins réelle : c’est même une présence substantielle. Que se passe-t-il dans la messe ?

La réponse se trouve dans les paroles du Christ : « Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12, 32), gravées, nous l’avons dit, sur le marbre de la statue dont nous parlons. Après son entrée triomphale à Jérusalem, le Christ est glorifié par son Père dans une mystérieuse théophanie, à l’étonnement des foules. Comme plus tard à Gethsémani, dans un moment d’angoisse, mais aussi d’intimité avec le Père et certainement de joie intérieure, les deux volontés du Verbe incarné s’accordent entre elles ; la volonté humaine de Jésus se soumet à sa volonté divine : « Que dirai-je ? Père, délivre-moi de cette heure. Mais c’est pour cela que je suis arrivé à cette heure » (Jn 12, 27). Le Christ prononce alors une sorte de prophétie : « Et moi, élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi ». Et l’évangéliste de préciser : « Il disait cela pour signifier de quelle mort il allait bientôt mourir » (Jn 12, 33). L’élévation du Christ, à la fois sur la croix et dans la gloire, est bien d’abord une annonce de sa mort, de sa résurrection et de son ascension à la droite du Père. C’était déjà le cas lors d’une précédente révélation aux juifs : « Lorsque vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous connaîtrez que Je Suis, et que je ne fais rien de moi-même : je dis ce que le Père m’a enseigné » (Jn 8, 28).

Dans ce domaine, la réflexion du cardinal Ratzinger autour de Jn 12, 32 comme prophétie du culte liturgique ouvre une perspective féconde : « Le sacrifice, il est vrai, adopte maintenant la forme de la croix du Christ, de l’amour s’offrant dans la mort. Un amour qui, plutôt qu’une destruction, est une recréation, un retour de la création à elle-même. Le culte est ainsi une participation à la Pâque du Christ, à son ‘passage’ de la mort à la vie, vers l’union de Dieu et de l’homme. Le culte chrétien apparaît comme la réalisation concrète de la parole que Jésus prononça dans le Temple de Jérusalem le premier jour de la grande semaine, dimanche des Rameaux : ‘Et moi, élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi’ »15. L’inscription de la statue traduit ce que le marbre représente : saint Josémaria, revêtu des ornements sacerdotaux, exerce le culte eucharistique, et ce culte renvoie au culte de la vie personnelle tout entière. En ce sens, cette statue est plus qu’un portrait, c’est une image.

4. Le sacrement de l’amour

Quel est le contenu du mystère de la Croix ? Pourquoi le Christ attire-t-il à lui toutes choses depuis la Croix ? Quelle est cette force d’attraction, pour ainsi dire, qui unit à la fois les hommes à Dieu et entre eux ?

« J’attirerai » (Jn 12,32) : l’Évangile selon saint Jean emploie un verbe grec, « elkw », qui charge la prophétie du Christ d’une grande puissance. C’est le verbe que cet Évangile utilise pour dire que Pierre « tira » son glaive pour frapper le serviteur du grand prêtre (cf. Jn 18, 10), ou encore pour désigner l’invitation de Jésus à ses disciples, au bord du lac de Tibériade : « Jetez le filet », et l’effort de Pierre qui, à la fin de la pêche miraculeuse, le « tira à terre » (Jn 21, 6.11). C’est aussi le mot grec que Luc emploie pour raconter que Paul et Silas furent « traînés » devant les magistrats et, plus tard, comment Paul fut « entraîné » hors du Temple (cf. Ac 16, 19 ; 21, 30). L’Épître de Saint Jacques dit quant à elle que les disciples du Christ sont « traînés devant les tribunaux » (Jc 2, 6). « Nul ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire » (Jn 6, 44, qui use le même verbe), avait dit Jésus lors de son discours sur le pain de vie à Capharnaüm. La prophétie de l’attraction de tous les hommes vers le Christ élevé de terre évoque une grande force, une force presque violente, irrésistible, constante, efficace. En effet ce qui attire tous les hommes au Christ, c’est son amour, c’est sa Personne même. C’est sur la Croix que le Christ pardonne à ses bourreaux, qu’il ouvre le Ciel au bon larron, qu’il nous donne Marie pour Mère. La souffrance extrême est aussi le lieu de l’amour jusqu’au bout de toutes les forces vives de son être.

L’Eucharistie est avant tout le sacrement de l’amour. Je me souviens de la chapelle du Saint-Sacrement de la cathédrale de Saint Jacques de Compostelle. On peut y admirer deux grandes statues, de part et d’autre du tabernacle : l’une représente la foi, l’autre l’espérance. Pourquoi n’y a-t-il pas la charité ? La charité est au centre, c’est l’Eucharistie.

Jésus donne sa vie librement sur la Croix pour nous sauver. Lui-même a enseigné qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime. Comme l’explique Benoît XVI dans son livre Jésus de Nazareth, la Croix est l’exaltation du Christ, sa glorification, non seulement parce qu’elle est le prélude à sa résurrection, victoire sur la mort, mais parce qu’elle révèle ce qu’est Jésus. Il est un avec Dieu, il est « la vie » et il donne la vie, il est « existence pour »16, amour substantiel qui se communique.

Or la chasuble sacerdotale est un symbole de cette charité. La tunique est évoquée par le Christ en relation à l’amour pour les ennemis, dépassant ainsi les prescriptions de l’Ancien Testament (cf. Ex 22,25-26 et Dt 24,12-13) : « Si quelqu’un t’enlève ton manteau, ne l’empêche pas de prendre aussi ta tunique » (Lc 6,29 ; cf. Mt 5,40). Elle fait aussi l’objet du détachement nécessaire à l’apostolat : « N’ayez point deux tuniques » (Lc 9, 3 ; cf. Mt 10, 10 et Mc 6,9). Quelle que soit l’origine exacte du symbolisme attribué à la chasuble, l’Église y voit le signe de la charité, comme Benoît XVI l’expliquait aux prêtres : « La prière traditionnelle, lorsque l’on revêt la chasuble, voit représenté en celle-ci le joug du Seigneur qui, en tant que prêtres, nous a été imposé. Et elle rappelle la parole de Jésus qui nous invite à porter son joug et à apprendre de lui, qui est ‘doux et humble de cœur’ (Mt 11, 29). Porter le joug du Seigneur signifie tout d’abord : apprendre de Lui, être toujours disposé à aller à son école. De Lui, nous devons apprendre la douceur et l’humilité –l’humilité de Dieu qui se montre dans son être homme (...). Son joug est d’aimer avec Lui. Et plus nous l’aimons, plus nous devenons avec lui des personnes qui aiment, plus son joug apparemment lourd devient léger pour nous »17. Le « joug » désignait pour les Juifs la Loi de Moïse ; le Christ proclame dans son Sermon sur la montagne (cf. Mt 5) la loi d’amour évangélique qui accomplit la loi juive en la dépassant.

Il y a donc concordance entre l’inscription gravée sur le marbre et le vêtement sacerdotal : tous deux illustrent la charité du Christ. La charité est la vertu qui nous fait participer à la vie divine.

L’amour divin a conduit à l’incarnation. Dieu s’est fait homme. Où est la beauté du Christ sur la Croix, après la flagellation, le couronnement d’épines, les crachats, les clous qui transpercent ses mains et ses pieds ? « Il n’avait ni forme ni beauté pour te donner forme et beauté », dit saint Augustin. « Quelle forme ? quelle beauté ? » demande-t-il alors, pour répondre aussitôt : « dilectionem caritatis », la dilection de la charité18. Ainsi, le Verbe de Dieu s’est fait chair pour nous faire participer à sa divinité. En aimant nos frères nous aimons la charité qui nous les fait aimer, c’est-à-dire Dieu lui-même. C’est l’amour qui embellit notre âme. Cela est facile à comprendre par un artiste : l’amour de son art doit guider le sculpteur pour que son œuvre soit belle et vraie.

5. Le travail

L’inscription qui se trouve sur la statue a été choisie parce qu’elle est au centre d’une expérience mystique de saint Josémaria. Le texte de saint Jean embrasse des aspects significatifs de l’histoire et du charisme de l’Opus Dei. Le 7 août 1931, moins de trois ans après la fondation de cette œuvre, Josémaria Escriva célèbre le sacrifice eucharistique quand soudain, pendant l’élévation de l’hostie, après la consécration, les mots de Jn 12, 32 se présentent de manière vigoureuse à son esprit. La relation de tout chrétien à l’évangile comporte une dimension intime et personnelle. La Parole de Dieu et la vie du Christ donnent la clef de chaque vie authentiquement chrétienne. Toutefois, il se produit ici un phénomène particulier, sous la forme appelée locution divine : les mots de l’Écriture martèlent l’âme de manière irrésistible avec un sens à la fois évident et nouveau : « omnia traham ad meipsum », suivant le texte de la Vulgate, « j’attirerai à moi toutes choses ». Voici comment saint Josémaria consigne l’épisode dans ses Cahiers intimes : « J’ai alors compris qu’il appartiendrait aux hommes et aux femmes de Dieu de hisser la Croix au sommet de toutes les activités humaines, avec les enseignements du Christ... Et j’y ai vu le Seigneur triompher, attirant à lui toutes choses » 19. L’expérience frappa le jeune prêtre en tant que fondateur : toute sa conception de l’existence chrétienne en fut affectée.

Ainsi saint Josémaria applique-t-il Jn 12, 32 au travail. Joseph Ratzinger, je viens de le montrer, met quant à lui en évidence la réalisation de la péricope dans le culte chrétien. La Croix unit culte et travail20. La substance du texte, c’est, pour Ratzinger, la participation à la création, une nouvelle création en tant que rédemption, mort et résurrection, où la mesure de l’amour est celle du sacrifice de la croix. Or le travail participe à la création et à la rédemption amoureuse. « Le travail –dit saint Josémaria- naît de l’amour, manifeste l’amour et s’ordonne à l’Amour »21. Le travail est rédempteur (Baudelaire lui-même loue la rédemption par le travail !). Sur l’autel, le travail humain, uni au Sang du Christ comme l’eau que le prêtre mêle au vin, entre pour ainsi dire dans le mystère de la passion, de la mort, de la résurrection et de l’ascension de Jésus, mystère qui forme une unité avec le travail caché du charpentier de Nazareth, et où se retrouvent aussi les relations familiales et sociales, comme les amitiés. Le travail, devenu sacrifice offert en culte à Dieu, rejoint ainsi la liturgie céleste. La Messe elle-même, comme l’a compris un jour de manière toute spéciale saint Josémaria, devient un travail, une œuvre de Dieu. La chasuble est le bleu de travail du prêtre.

Il me semble que tout ce qui précède s’applique éminemment au travail de l’artiste. Celui-ci comprend que la sanctification du travail n’est pas du perfectionnisme, car il est toujours insatisfait de son œuvre. Seul Dieu, par son amour, rend saints à la fois l’artiste et son œuvre. L’amour que Dieu nous demande n’est pas la recherche de la perfection pour la perfection. Un jour saint Josémaria commenta, en observant la peinture d’une chapelle dédiée à la Sainte Croix, que nous ne faisons pas les choses de telle manière qu’elles ne puissent plus être ultérieurement améliorées22. L’important est d’agir par amour ; sans dispenser de la compétence technique, cette intention la sublime en quelque sorte. C’est peut-être dans ce sens que l’on peut comprendre le commentaire d’un grand pianiste à propos de certains de ses jeunes collègues particulièrement virtuoses : « Ils jouent d’une façon trop mécanique ; ils n’imitent pas la voix humaine ».

Nous touchons ici un point de jonction entre l’art et la vie spirituelle. « Qu’est-ce que saint Josémaria apporte aux artistes ? », m’a-t-on demandé récemment. Je me suis permis de retourner aussitôt la question : « Qu’a-t-il appris des artistes ? », lui qui, avant l’appel au sacerdoce, songeait à devenir architecte et qui a toujours montré un intérêt authentique pour le monde de l’art. Qu’en a-t-il retenu ? Voici ses propres mots : « Nous ne pouvons pas nous contenter de ce que nous faisons pour le service de Dieu, de même qu’un artiste ne s’estime pas satisfait du tableau ou de la statue qui sort de ses mains » 23. Quand il expliquait pourquoi, il parlait d’un amoureux, de la conquête spirituelle, de l’Amour en définitive, qui est toujours une soif d’Infini24. Quand on évoque un artiste, on se réfère facilement à sa créativité, à son génie, à sa sensibilité. Saint Josémaria, lui, saluait la sagesse de l’artiste ! La sagesse, « sapientia », c’est la « sapida scientia », une science « savourée », la science de l’amour. C’est peut-être pour cela que lorsque saint Josémaria parle de la sanctification du travail, il invite à faire du travail un art, à travailler comme un artiste : à fabriquer, avec la matière première de notre vie, non pas un objet de série, mais une œuvre d’art. C’est ce que nous voyons dans la vie des saints : elle nous enseigne ce que nous avons à comprendre dans les Écritures, selon les mots de Grégoire le Grand25.

De manière analogue, l’œuvre d’un artiste inspiré peut nous élever à une plus authentique compréhension du mystère chrétien. En effet, comme le dit Jean-Paul II dans sa Lettre aux artistes, « chaque intuition artistique authentique va au-delà de ce que perçoivent les sens et, en pénétrant la réalité, elle s’efforce d’en interpréter le mystère caché » 26. La sagesse conduit à faire à la fois l’expérience des choses de Dieu et à découvrir la valeur profonde de la création27.

Cette sagesse qui touche au plus profond de l’être aspire à durer. Qu’en est-il du temps et de l’éternité ? Revenons, pour entrevoir quelque chose de ce mystère, à celui du Christ, dans sa mort et sa résurrection.

6. Le temps et l’éternité

Quelque temps avant sa prophétie concernant l’attraction de tous les hommes à lui-même, le Christ entend la voix du Père qui exalte l’acceptation de la mort par son Fils. En réponse à l’abandon filial à la volonté du Père et donc à l’acceptation de la mort (« Père, délivre-moi de cette heure... Mais c’est pour cela que je suis arrivé à cette heure. Père, glorifie ton Nom ! »), Jésus entend la voix du ciel : « Je l’ai glorifié, et je le glorifierai encore ! » (Jn 12, 27-28). Jésus priera plus tard son Père en associant à nouveau la gloire de celui-ci et la sienne : « Père, l’heure est venue, glorifie ton Fils, afin que le Fils te glorifie » (Jn 17, 1). Joseph Ratzinger rattache cette mystérieuse glorification non seulement de la croix mais de la mort même du Christ à l’institution de l’Eucharistie : « L’événement de la dernière Cène consiste dans le fait que Jésus distribue son Corps et son Sang, c’est-à-dire son existence terrestre, en se donnant lui-même. En d’autres mots, l’événement de la dernière Cène est une anticipation de la mort, la transformation de la mort en un acte d’amour. Ce n’est que dans ce contexte que l’on peut comprendre Jean quand il appelle la mort de Jésus glorification de Dieu et glorification du Fils (cf. Jn 12, 28 ; 17, 1). La mort qui par nature est la fin, la destruction de toute relation, est par lui transformée en un acte de communication de soi ; elle est le salut des hommes en tant que cela signifie que l’amour vainc la mort. Cela peut s’exprimer d’un autre point de vue : la mort, qui est la fin de la parole et la fin du sens, devient elle-même parole et demeure du sens qui se donne » 28.

Saint Augustin, dans son incomparable commentaire de la première lettre de saint Jean, qui affirme que Dieu « nous a aimés le premier » (1 Jn 4, 19), ajoute que Dieu « donavit nobis diligere » : « il nous a donné de l’aimer » 29. L’acceptation du don de Dieu se transforme en quelque sorte en un don de l’homme à Dieu. Comment saint Augustin explique-t-il cette communion dans l’amour ? Il prend une comparaison qu’un artiste comprendra mieux que quiconque. « Voilà du bois de chêne ; un habile artisan voit ce bois non taillé, coupé dans la forêt : ce bois lui plaît » (j’imagine Romano Cosci découvrant le bloc de marbre de Carrare de 80 tonnes dans les carrières de Pietrasanta). « Je ne sais ce qu’il veut en faire, mais il n’aime pas ce bois pour qu’il demeure tel quel. Son art lui fait voir ce que ce bois peut devenir, son amour ne va pas au bois brut : il aime ce qu’il en fera, non le bois brut. C’est ainsi que Dieu nous a aimés quand nous étions pécheurs. Il nous a aimés pécheurs : il dit en effet : ‘Ce ne sont pas les biens portants qui ont besoin de médecin, mais les malades’ (Mt 9, 12). Nous a-t-il aimés pécheurs pour que nous demeurions pécheurs ? L’artisan nous a vus comme un bois brut venu de la forêt et ce qu’il avait en vue, c’était l’œuvre qu’il tirerait de là, non le bois brut »30.

C’est ainsi que Jésus nous regarde depuis la Croix, comme des fils de Dieu ; c’est ainsi que le chrétien voit dans son prochain un fils de Dieu, dans le pain eucharistique, ce qui deviendra le Corps du Christ. L’artiste voit dans le marbre, la statue. Dieu sculpte en nous une image, celle du Christ. Dans chacune de ces affirmations, il y a une projection vers l’avenir et plus encore vers l’au-delà. Dans son idéalisme, Malraux disait que « l’art est un anti-destin ». Le poète Albert Samain (frère d’une de mes arrière-grands-mères) sentait comme tant d’autres poètes le besoin de s’évader de la monotonie des jours tristes et gris : « Mon âme est une infante en robe de parade ». Ce sont des vers qu’aurait récités Sergio Corazzini quelques jours avant sa mort à Marino Moretti, l’ami de Florence, comme l’a rappelé François Livi dans ses travaux sur la poésie symboliste et crépusculaire31. Les mots de Samain seraient-ils devenus des poncifs, leur beauté demeurerait ; elle exprime la sensibilité d’un poète facilement grave à la pensée de la mort. Son art est la recherche de l’absolu. Que dit-il de son âme ? « Elle écoute la vie -au loin- comme la mer »... « Elle va, s’enchantant de mots mystérieux ».

Or s’il y a des mots mystérieux, c’est bien dans la liturgie. Le poète ne songe pas à la force d’éternité de la liturgie. Pourtant, c’est bien dans la liturgie, plus encore que dans l’art, dans la liturgie, art suprême peut-être, que nous sommes libérés de la mort. Les montres devraient s’arrêter pendant la Messe, disait saint Josémaria. Dans la lecture de l'Évangile aujourd’hui souffle la brise du lac de Génésareth et à Jérusalem les oliviers dramatiques continuent de pleurer.

S’il est vrai que nos œuvres peuvent nous survivre un certain temps, la Messe, opus Dei, œuvre de Dieu, fait déjà descendre le ciel sur la terre. La statue de saint Josémaria est entourée de deux anges. Ici encore l’harmonie du monument est parfaite car la liturgie de l’Eucharistie, matérialisée par la chasuble et par l’inscription, anticipe sur la liturgie céleste, celle que l’Apocalypse décrit comme le « festin des noces de l’Agneau » (Ap 19, 9). C’est le Christ, le Verbe, la Parole éternelle de Dieu qui a prophétisé avec des paroles de vie éternelle : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle », il « demeure en moi, et moi en lui » (Jn 6, 54.56), il devient fils de Dieu.

Le culte spirituel aussi unit ciel et terre. « Sur la ligne d’horizon », disait saint Josémaria, « le ciel et la terre semblent se rejoindre. Mais non, là où ils s’unissent, en réalité, c’est dans vos cœurs, lorsque vous vivez saintement la vie ordinaire »32.

Les réalités spirituelles du mystère chrétien se manifestent dans les signes sensibles et efficaces que sont les sacrements. La statue de Romani Cosci est en quelque sorte liturgique. Elle évoque la Parole et le Pain : l’Eucharistie, pendant laquelle la Parole de Dieu est solennellement proclamée, et le fruit du travail des hommes qui devient le Corps du Christ offert au Père pour notre salut. La statue de marbre nous renvoie symboliquement au Christ vivant, à son Évangile et à son Église, famille de la Sainte Trinité, et nous fait entrevoir le mystère de Dieu et l’amour auquel il nous invite à participer.

Cette statue est sortie d’un grand bloc de marbre extrait des carrières de Pietrasanta, nom qui signifie justement « La pierre sainte ». Jésus s’est appliqué à lui-même le Psaume 118[117], qu’il aura probablement chanté lors du Hallel de la dernière cène : il est la « pierre d’angle » (Mt 21, 42 ; cf. Ps 118[117], 22).

La statue de saint Josémaria rappelle que le Christ attire toutes choses à lui. En reprenant l’interprétation que Daniel fait du songe de Nabuchodonosor, saint Augustin voit le Christ comme « la pierre détachée de la montagne sans que personne n’y mette la main »33. Il se réfère à la conception miraculeuse de Jésus, qui signifie à la fois, pour le Verbe de Dieu, se détacher de notre humanité –sa Personne est divine- tout en prenant la condition humaine : il est vrai Dieu et vrai Homme. Augustin ajoute que cette pierre est devenue à son tour une grande montagne qui remplit toute la terre : le Christ récapitule en lui toute la création, toute l’humanité qui dans l’Église se réconcilie avec Dieu. Lors de mon bref séjour à Florence, en 1974, mon attention fut attirée par un écriteau dans le cloître d’une église : « Si tu crois, prie ; si tu ne crois pas, admire ; si tu es idiot, écris ton nom sur le mur ». La beauté de l’art nous invite comme la beauté de la liturgie à un dépassement continuel. Puisse l’œuvre de Romano Cosci nous aider à passer de l’admiration à la prière, de la contemplation à l’émerveillement, c’est-à-dire à nous laisser saisir par l’amour de Dieu !

Notes

1. Je développe ici la conférence que j’ai tenue à Florence le 1er octobre 2008, dans la Salle Verte du Palazzo Incontri, à l’occasion de Table Ronde Saint Josémaria, l’art et les artistes, pour la présentation du livre Saint Josémaria dans la basilique Saint-Pierre, MCM Florence, Pacini Editore, Pise, 2008, 104 pp., qui offre des textes de Guillaume Derville, Michele Dolz, Giancarlo Polenghi, ainsi que les photographies réalisées par Aurelio Amendola, Juan María San Millán, Stefano Savella ; coordination : Antonio Cózar ; maquette et mise en pages : Gaetano Del Duca.

2. SAINT IRENEE DE LYON, Adversus haereses, IV, 20, 7, in Sources Chrétiennes, Cerf, -à partir de maintenant : SCh- (1965) 100, pp. 648-649 : « Gloria enim Dei vivens homo, vita autem hominis visio Dei ».

3. JACQUES BENIGNE BOSSUET, Élévations sur les mystères, Vème Semaine, 1ère élévation.

4. JOSEPH RATZINGER, « Laisser œuvrer Dieu », L’Osservatore Romano, n. 41, 8 octobre 2002, p. 5 (à l’occasion de la canonisation de Josémaria Escriva).

5. BLAISE PASCAL, Pensées, Lafuma-Brunschvicg, 368-474, in Œuvres complètes, Seuil, L’Intégrale, 1988, Paris, p. 545.

6. SAINT AUGUSTIN, Commentaire de la Première Épître de Saint Jean, V, 4, in SCh- (1994) 75, pp. 252-255.

7. Catéchisme de l’Église Catholique, n. 1348.

8. CONCILE VATICAN II, Const. dogm. Lumen gentium, n. 10.

9. Cf. Catéchisme de l’Église Catholique, n. 1349.

10. Cf. SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE, In Cantica, Hom. XI (PG 44, 1004 D – 1005 A).

11. JEAN DANIELOU, Carnets spirituels, Cerf, Paris 1993, p. 334 (texte daté de 1940).

12. SAINT JOSEMARIA ESCRIVA, Camino, edición crítico-histórica, préparée par PEDRO RODRIGUEZ, 3ª ed., Madrid, Rialp, 2004, p. 594 ; texte du 8 octobre 1932, qui est à l’origine du n. 432 de Chemin, 9èmeéd. française, Paris, Le Laurier, 2000.

13. Cf. Catéchisme de l’Église Catholique, n. 2564.

14. CONCILE VATICAN II, Const. Sacrosanctum Concilium, n. 10.

15. JOSEPH RATZINGER, L’esprit de la liturgie, Ad solem, Genève, 2001, p. 29.

16. JOSEPH RATZINGER – BENOIT XVI, Jésus de Nazareth, Flammarion, Paris, 2007, p. 382.

17. BENOIT XVI, Homélie, Messe chrismale du 5 avril 2007 dans la basilique Saint-Pierre, in ORLF 15. Voici le texte de cette prière que l’on peut réciter en revêtant la chasuble : « Dómine, qui dixísti : Iugum meum suáve est, et onus meum leve : fac, ut istud portáre sic váleam, quod cónsequar tuam grátiam. Amen ».

18. SAINT AUGUSTIN, Commentaire de la Première Épître de Saint Jean, IX, 9, in SCh (1994) 75, p. 400.

19. SAINT JOSEMARIA ESCRIVA, Cahiers intimes, n. 217 (7 août 1931), cit. in ANDRES VAZQUEZ DE PRADA, Le fondateur de l’Opus Dei. Vie de Josémaria Escriva, Paris – Montréal, Le Laurier – Wilson & Lafleur, Volume I : Seigneur, que je voie ! (2001), p. 378.

20. Cf. GUILLAUME DERVILLE, « La liturgia del trabajo. “Levantado de la tierra, atraeré a todos hacia mí” (Jn 12, 32) en la experiencia de San Josemaría Escrivá de Balaguer », in Scripta Theologica 38 (2006) 821-854.

21. SAINT JOSEMARIA ESCRIVA, Quand le Christ passe, Le Laurier, Paris, 1988, n. 48.

22. Le 1er juin 1975, en voyant la peinture de la chapelle de la Sainte-Croix, au Collège Romain de la Sainte-Croix, selon un témoignage direct de Antonio Miralles.

23. SAINT JOSEMARIA ESCRIVA, Forge, Le Laurier, Paris, 1988, n. 385.

24. Cf. par exemple JAVIER ECHEVARRIA, Memoria del Beato Josemaría Escrivá, Rialp, Madrid, 3ème éd. 2000, p. 106.

25. Cf. SAINT GREGOIRE LE GRAND, Homélies sur Ézéchiel, X, 38, in SCh (1986) 327, p. 432.

26. JEAN-PAUL II, Lettre aux artistes (4 avril 1999), n. 6, AAS 91 (1999), 1155-1172.

27. Cf. JEAN-PAUL II, Regina Caeli (9 avril 1989), in L’Osservatore Romano, 10-11 avril 1989, p. 5; cf. SAINT THOMAS D’AQUIN, STh, II-II, q. 45, a. 2, ad 1.

28. JOSEPH RATZINGER, Il cammino pasquale, Ancora, Milano, 1986, p. 104.

29. SAINT AUGUSTIN, Commentaire de la Première Épître de Saint Jean, IX, 9, in SCh (1994) 75, p. 401.

30. SAINT AUGUSTIN, Commentaire de la Première Épître de Saint Jean, VIII, 10, in SCh (1994) 75, pp. 361.

31. FRANÇOIS LIVI, Dai simbolisti ai crepuscolari, Istituto Propaganda Libraria, Milan, 1974, pp. 194-195 ; Cf. Albert Samain, Au Jardin de l’Infante, 1893.

32. SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Aimer le monde passionnément, in Entretiens avec Mgr Escriva, Le Laurier, Paris, 1987, n. 115.

33. SAINT AUGUSTIN, Commentaire de la Première Épître de Saint Jean, I, 13, in SCh (1994) 75, pp. 144-145 ; cf. Dn 2, 34-35.