Le sourire de la sainteté

Paul Ourliac, éminent médiéviste décédé à Toulouse en 1998, a rencontré saint Josémaria. C’est, en effet, des mains du Grand Chancellier de l’Université de Navarre, saint Josémaria Escriva de Balaguer, qu’il reçut, en 1972, le doctorat honoris causa de cette université. Il lui rend hommage en nous livrant sa lecture personnelle de ‘Chemin’.

Paul Ourliac, éminent médiéviste décédé à Toulouse en 1998, a rencontré saint Josémaria. C’est, en effet, des mains du Grand Chancellier de l’Université de Navarre, saint Josémaria Escriva de Balaguer, qu’il reçut, en 1972, le doctorat honoris causa de cette université. Il lui rend hommage en nous livrant sa lecture personnelle de Chemin.

Il y avait dans la personne du fondateur de l’Opus Dei, mgr Escriva, un rayonnement dont tous ceux qui ont eu le bonheur de l’approcher et d’écouter sa parole gardent pieusement le souvenir. « Ton apostolat, a-t-il écrit, consiste à répandre la bonté, la lumière, l’enthousiasme, la générosité. » Tout cela était dans son regard, dans son sourire, dans son accueil. Il y avait en lui à la fois une grandeur qui intimidait et une bienveillance qui aussitôt rassurait. Il mettait en confiance par son naturel, par sa simplicité, par sa manière d’entrer de plein pied dans votre vie, de s’intéresser à votre famille ou à votre profession. Un sourire, une phrase, souvent une citation de l’Évangile suffisaient à spiritualiser le quotidien et à lui demander un sens surnaturel.

Ce ton inimitable, on le retrouvait dans Chemin, « confidence d’ami, de frère, de père, pour remuer les souvenirs, en faire surgir quelque pensée qui te frappe, pour que ta vie s’améliore et que tu t’engages dans les chemins de prière et d’amour et que tu finisses par avoir l’âme et l’esprit justes ». Le même ton de confidence apparaît encore dans Sillon que publient en France les éditions du Laurier. C’est la même expérience des âmes, le même souci d’une vie intérieure, la même ouverture au monde.

Il y a cinquante ans, ce message pouvait paraître révolutionnaire : il était simplement prophétique. Il pressentait le changement de société et préparait, avant le Concile, la transformation de l’Église. Aux futurs historiens, Sillon apparaîtra sans doute comme le meilleur document qui puisse exprimer l’attitude actuelle du chrétien dans la cité et les formes modernes de la piété.

Le chrétien vit et travaille dans le siècle, « sans pactiser avec la médiocrité », mais en « pénétrant d’un pas sûr dans tous les milieux » (n° 416). « Dieu l’appelle à agir comme porteur d’humanité, propagateur d’une nouveauté éternelle. (n° 419) » Il ne refuse de la société moderne que ce qui est pour lui inacceptable. Il peut ne pas être d’accord avec les autres, mais sans cesser d’être « charitable » pour ne pas « se rendre antipathique » (n° 429). Le chrétien a le souci de « renouveler les doctrines caractéristiques de la pensée traditionnelle en matière de philosophie et d’interprétation de l’histoire » ; il doit prêter une « attention vigilante aux orientations de la science et de la pensée contemporaine », enfin avoir « une attitude positive et ouverte face à la transformation actuelle des structures sociales ou des formes de vie « ( n° 428). Il ne peut y « avoir opposition entre le fait d’être bon catholique et celui de servir fidèlement la société civile ». Tout comme « il n’y a pas de raison pour que l’Église et l’État entrent en conflit dans l’exercice légitime de leur autorité respective « (n° 301). S’il doit « s’occuper des choses de la terre, le chrétien doit être aussi tout à Dieu » (n° 295), accepter toutes ses obligations de citoyen, mais réclamer ensuite ses droits pour les mettre au service de l’Église et de la société » (n° 300). Une « subtile persécution condamne l’Église à mourir d’inanition ». On la relègue hors de la vie publique, on l’empêche d’intervenir dans l’éducation, dans la culture, dans la vie familiale. Or ces droits appartiennent à Dieu et c’est à nous, les catholiques, qu’il les a confiés pour que nous les exercions ». Il ne s’agit pas pour autant de réformer n’importe comment ; il faut toujours « comprendre la volonté des autres « (n° 313) mais « vivifier son milieu » (n° 320).

Longuement un modèle de vie est proposé : le chrétien doit être généreux, humble, courageux, naturel — cela pour prêcher l’exemple. Les « enfants de Dieu doivent rayonner par leurs vertus, comme une lampe dans l’obscurité » (n° 318). Une société qui s’éloigne de la foi et de la morale chrétienne requiert une nouvelle façon de vivre. Il existe un héroïsme du quotidien (n° 529), chaque profession, chaque tâche bien faite peuvent conduire à la sainteté. C’est dans la simplicité du travail ordinaire, dans les détails monotones de chaque jour que l’on découvre que travailler c’est aimer et aussi prier : « entre la prière et le travail, il ne doit pas y avoir de solution de continuité » (n° 471).

Qu’on ne s’y trompe pas cependant, les chrétiens ne doivent pas se résigner à n’être que de pauvres hommes qui pensent que, tels qu’ils sont, Dieu saura bien les sanctifier sans exiger l’impossible : à la pratique des vertus humaines, ils doivent ajouter celle des vertus spirituelles ; ils doivent surtout aimer l’Église, le pape, obéir au Saint-Siège (n° 353), ne jamais céder sur la doctrine (n° 358).

Vivre c’est aimer

Le ton est moderne et répond à l’attente de nombreux chrétiens d’aujourd’hui. Le fond appartient à la plus vénérable tradition de l’Église. Un rapprochement s’impose en tout cas avec l’Introduction à la vie dévote et avec le Traité de l’amour de Dieu. Le style de saint François de Sales a vieilli, mais la pensée n’a rien perdu de son actualité. Elle fait sortir la spiritualité du cloître pour en faire une exigence de tous les chrétiens. Là grande vérité qui éclaire toutes les autres est que Dieu est amour ! « Pour un chrétien, vivre c’est aimer. » Chaque baptisé, clerc ou laïc, est appelé à la même sainteté. « C’est une erreur, même une hérésie, de vouloir bannir la vie dévote de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du ménage des gens mariés. Où que nous soyons, nous pouvons et devons aspirer à la vie parfaite. » La sainteté ne consiste pas en des actions spectaculaires ou dans un genre de vie particulier, mais dans la perfection de la charité. Saint François de Sales était épris de justice sociale. La Sainte Maison qu’il voulut fonder à Thonon devait être à la fois une école professionnelle où l’on apprendrait les « métiers mécaniques », un séminaire et une « petite université ». Faut-il rappeler que Léon XIII proclama, en 1887, François de Sales docteur de l’Église et qu’une bulle de Pie XI de 1923 l’a désigné comme patron des journalistes ?

Saint François de Sales vivait à une époque qui ressemble à la nôtre, où la foi et l’Église elle-même paraissent en péril. C’est en méditant sans cesse sur le mystère du Christ qu’il parvient à cet optimisme chrétien qui lui vaudra la longue hostilité des jansénistes.

On ne peut trouver dans Chemin ou dans Sillon aucune influence directe de ses livres, mais, par le même recours à l’Évangile, mgr Escriva rejoint Saint François de Sales dans ce qu’il appelle sa « découverte » : quand « l’atmosphère de la société » change, les chrétiens doivent adopter une « nouvelle façon de vivre et de propager la vérité de l’Évangile » (n° 318).

Dans toutes les crises de l’Église, apparaissent des hommes providentiels qui débordent leur temps et qui, alors que les ruines paraissent s’accumuler, font fleurir dans l’Église, comme le disait Jean XXIII, un printemps nouveau.