Les hôpitaux et les faubourgs

« L’Opus Dei est né dans les hôpitaux et les bidonvilles de Madrid. J’en suis témoin, bien que pour une faible part », assure José Manuel Domenech de Ibarra. Le fondateur de l’Opus Dei déploya une activité extraordinaire à partir de la Fondation des Malades, dans les bidonvilles de Madrid puis à l’hôpital du Roi, à l’hôpital général de la rue Sainte-Isabelle et à l’hôpital de la Princesse, rue Saint-Bernard.

C’est bien là, en ces endroits de misère, que, paradoxalement, il allait chercher sa richesse : le trésor de la prière et des souffrances des malades. Le 19 mars 1975, en la saint Joseph, il en parlait ainsi à Rome, à ses enfants :

Le temps passa. J’allais chercher la force dans les quartiers les plus pauvres de Madrid. Des heures et des heures en vadrouille, partout, tous les jours, d’un côté à l’autre, parmi les pauvres honteux et les miséreux, qui n’avaient absolument rien ; parmi des petits morveux, tout sales, mais des enfants tout de même, agréables à Dieu. […] J’ y ai passé des heures et des heures et je regrette de n’y être pas resté encore plus longtemps. Puis, dans les hôpitaux, dans les maisons — peut-on parler ainsi de taudis pareils — où il y avait des malades. Des laissés pour compte, malades, certains avec la tuberculose, alors incurable.

Ils étaient une centaine à l’écouter, en silence. Il parlait doucement, comme s’il s’épanchait en présence de Dieu :

C’est donc là que je suis allé chercher ce qu’il me fallait pour faire l’Œuvre de Dieu, en ces endroits-là. Et ce, tout en travaillant et en formant les premiers qui m’entouraient. Il y avait un échantillon de presque tout : des étudiants, des ouvriers, des petits patrons, des artistes…

Ce furent des années intenses, l’Opus Dei grandissait intérieurement sans que nous ne nous en apercevions. J’ai tenu ainsi à vous dire — vous en saurez plus long par la suite, avec force détails, tout est documenté — que les malades des hôpitaux de Madrid ont été la force humaine de l’Œuvre : les plus misérables, ceux qui étaient encore chez eux, sans aucun espoir de vie, les plus ignorants de ces faubourgs extrêmes.

Le 2 juillet 1974, au lycée Tabancura de Santiago du Chili, on lui demanda d’expliquer pourquoi les malades sont le trésor de l’Opus Dei. Alors, lentement, en savourant ses souvenirs, mgr Escriva de Balaguer a parlé d’un prêtre qui avait 25 ans, la grâce de Dieu, la bonne humeur et rien d’autre. Il n’avait ni vertu ni argent. Et il devait faire l’Opus Dei… Et sais-tu comment il y est parvenu ? … Grâce aux hôpitaux. Cet hôpital général de Madrid, bourré de malades, pauvres parmi les pauvres, gisant pour la plupart dans les couloirs parce qu’il n’y avait pas suffisamment de lits. Cet hôpital du Roi, où il n’y avait que des tuberculeux alors que la tuberculose était incurable à l’époque… Ce furent les armes de la victoire ! Ce fut le trésor à payer ! Et ce fut la force pour aller de l’avant ! […] Le Seigneur nous fit aller partout dans le monde et nous sommes ainsi en Europe, en Asie, en Afrique, en Amérique et en Océanie. Et tout, grâce aux malades qui sont un trésor…

Quelques mois plus tard, le 19 février 1975, à Ciudad Vieja, au Guatémala, il évoqua encore les années où il fut tenu de se servir de toute l’artillerie des nombreux hôpitaux de Madrid :

Je leur demandais d’offrir leurs souffrances, leurs heures d’alitement, leur solitude. Certains étaient très seuls. Je leur demandais d’offrir tout cela pour le travail que nous faisions avec la jeunesse.

Il leur apprenait ainsi à trouver la joie dans la souffrance, puisqu’ils partageaient la Croix du Christ et qu’ils étaient utiles à quelque chose de grand et de divin. Le fondateur de l’Opus Dei trouvait chez eux une force authentique, l’assurance que le Seigneur ferait aller l’Œuvre de l’avant en dépit des hommes, en dépit de moi-même qui ne suis qu’un pauvre homme.

Depuis lors, avec la catéchèse dans les bidonvilles, les visites aux malades et aux plus démunis sont devenues des moyens habituels pour donner de l’élan à l’apostolat que l’Opus Dei fait parmi les jeunes, dans le monde entier.

C’est à Lisbonne, en novembre 1972, qu’il parlait aussi du sens de la souffrance : Tu trouveras aussi la souffrance physique et tu seras heureux dans la douleur. Tu m’as évoqué Chemin, je ne le connais pas par cœur, mais on y trouve bénie soit la douleur, aimée soit la douleur, sanctifiée soit la douleur, glorifiée soit la douleur, n’est-ce pas ? J’ai écrit cela dans un hôpital, au chevet d’une mourante à laquelle je venais d’administrer l’extrême onction. J’en étais follement jaloux ! Cette femme avait été très haut placée socialement et financièrement parlant et elle gisait sur un grabat d’hôpital, mourante et seule, sans autre compagnie que celle que je lui tenais à ce moment là et jusqu’à son trépas. Et elle reprenait, en pesant les mots, toute heureuse : bénie soit la douleur, — elle avait toutes les souffrances morales et physiques— aimée soit la douleur, sanctifiée soit la douleur, glorifiée soit la douleur ! La souffrance est la preuve que l’on sait aimer, que l’on a du cœur.

Janvier Lazaro apprit, en 1930, qu’avec ce travail dans les hôpitaux, le père menait de front plusieurs catéchèses. Il n’est pas arrivé à bien situer tous les quartiers que mgr Escriva fréquentait, mais il sait qu’il allait souvent à Vallecas. Le 1er octobre 1967, mgr Escriva de Balaguer est revenu à Vallecas. Les choses avaient bien changé. Dans l’amphithéâtre de Tajamar, œuvre apostolique promue par l’Opus Dei, le fondateur est revenu sur ces vingt-cinq ans, je venais très souvent sur ces terrains vagues, j’y essuyais des larmes, j’aidais ceux qui avaient besoin d’aide, j’entourais de mon affection enfants, vieillards et malades et je recevais beaucoup de tendresse en retour… et aussi quelque coup de pierre.

Et de poursuivre, en parlant de Tajamar : Aujourd’hui, tout cela est un rêve pour moi, un rêve béni réalisé en tant de quartiers extrêmes des grandes villes où nous entourons les gens de notre affection, en les regardant dans les yeux, parce que nous sommes tous égaux […] Je suis un pêcheur qui aime Jésus-Christ de toutes les forces de son âme ; je suis très heureux, même si je ne manque pas de soucis. En effet, la souffrance est la compagne de notre route ici-bas. Je voudrais que vous aimiez le Christ, que vous le connaissiez, que vous soyez heureux, comme je le suis : il n’est pas difficile d’y arriver. En tant qu’êtres humains, en tant que créatures, nous sommes tous égaux aux yeux de Dieu.

Tiré du livre Mgr Escriva de Balaguer, Portrait du fondateur de l’Opus Dei, S.Bernal, aux Éditions SOS, Paris 1978, pages 210 à 214