Saint Josémaria Escriva, lecteur de la Sainte Écriture

Dans la biographie de saint Josémaria Escriva, dès le début de son activité sacerdotale, voire même avant, il y a des témoignages d’une lecture de l’Écriture qui vivifie son âme et fait que la parole de Dieu soit vivante en ses œuvres .

La Sainte Écriture est la parole de Dieu toujours actuelle. De ce fait, les études bibliques ne peuvent pas se limiter à la recherche d’une histoire passée mais sont appelées aussi à chercher les traces de ce dialogue de Dieu venu rencontrer les hommes pour leur parler . Il est indéniable que cette conversation a lieu surtout dans la vie des saints — au sens biblique du terme, à savoir, non seulement ceux qui ont été officiellement canonisés par l’Église, mais tous ceux qui, par la grâce, sont dans la mouvance de Dieu, soutenus par la foi et la charité —, puisqu’ils sont dans les conditions requises pour écouter et répondre, dans une syntonie vitale et affective avec Dieu qui permet de trouver sa Parole dans les textes écrits de la Bible . C’est pourquoi, une étude théologique de la Sainte Écriture demande que l’on soit attentif aux façons dont la Bible a fécondé la vie des saints.

Une recherche exhaustive de la richesse du contenu qui se dégage de la façon dont saint Josémaria lit et invite à lire l’Évangile ou tout autre passage biblique est un travail incommensurable. En effet, les textes et les phrases de la Sainte Écriture sont normalement le guide-âne de sa prédication, de sa catéchèse, voire même très fréquemment de ses échanges quotidiens où il partage généreusement le trésor de la Parole de Dieu avec un charme humain et une grâce surnaturelle frappants.

Cette étude va donc se limiter à une première approche théologique de son activité en tant que lecteur de la Sainte Écriture, à partir de trois perspectives complémentaires. La première, à caractère biographique, concerne des moments ponctuels de sa vie où, d’une façon ou d’une autre, il « entend » la voix de Dieu avec des mots de l’Écriture. La seconde concerne les passages de l’Écriture, mille et mille fois médités, qui ont profondément marqué son esprit. La troisième concerne sa façon personnelle de proposer l’Évangile dans sa prédication. On ne prétend, en aucun cas, faire le tour de tous les textes commentés ni du sens qu’il en tire. Il ne s’agit que de relever quelques exemples significatifs.

En dialogue avec Dieu à travers la Sainte Écriture

Avant tout, quelques considérations concernant le profil du lecteur de la Bible qu’est saint Josémaria Escriva.

D’emblée, ses biographes ont constaté qu’il était un bon lecteur de la littérature classique espagnole et de la littérature spirituelle . Il a lu aussi les écrits des Pères de l’Église qu’il connaissait bien . Cependant, la Sainte Bible, — les Évangiles spécialement —, n’a pas été pour lui le bon livre de lecture dont il a pu tirer une instruction profitable, mais un lieu de rencontre avec le Christ.

Au séminaire, il avait profondément étudié les matières bibliques et avait eu de très brillantes notes . C’est à partir de son expérience vitale de la foi de l’Église qu’il aborde les livres saints. C’est dans le cadre de sa prédication que l’on trouve habituellement ses commentaires.

Le poids que, pour montrer combien il aime Dieu, saint Josémaria accorde aux petites choses, est l’une des caractéristiques de son profil. Sa façon d’agir ainsi que sa physionomie spirituelle en sont façonnées, et cela imprègne aussi son activité de lecteur de l’Écriture. Devant un texte, il est très attentif à tous les détails, à toutes les phrases, aux gestes et aux réactions des personnages, à chaque mot…

La Sainte Écriture, lue et relue et profondément méditée, laisse chez lui l’empreinte de « petits textes », de phrases incisives, très courtes habituellement — parfois un ou deux mots seulement — qui prolongent le dialogue divin, l’oraison au-delà du moment de la lecture, en empreignant toute son activité quotidienne : il les répète dans son cœur, en pleine rue, au travail et découvre, petit à petit, que ces paroles ne lui parlaient pas d’un passé glorieux mais lointain, mais du présent qui est là, devant ses yeux .

Pour illustrer ce que nous venons de dire, penchons-nous sur son emploi de l’expression ut videam ! C’est la réponse de l’aveugle de Jéricho à la demande de Jésus : « Que veux-tu que je fasse pour toi? » « Rabbouni, que je voie » (Mc 10, 51). Saint Josémaria avait lu attentivement cette scène lorsqu’il était adolescent. Le courage de Bartimée qui se dépouille de la guenille qui le réchauffe afin de mieux s’approcher de Jésus et lui parler de ce dont il a besoin ainsi que la réponse rapide du Maître qui, ému par cette audace et cette simplicité, lui rend immédiatement la vue (cf. Mc 10, 46-52). Tout jeune, lorsqu’il pressentait que le Seigneur lui demandait quelque chose et qu’il ne voyait pas ce que ça pouvait être exactement, il s’en remettait totalement à Dieu et, en même temps, il priait instamment pour demander la lumière : ut videam ! Il en parlait en ces termes quelques années plus tard, en 1947 :

« Je ne peux oublier que, méditant ce passage, il y a bien des années, et comprenant que Jésus attendait de moi quelque chose, quelque chose que j’ignorais — je me suis composé des oraisons jaculatoires : “ Seigneur, que veux-tu ? Qu’attends-tu de moi ? ” Je pressentais que le Seigneur me cherchait pour quelque chose de nouveau, et ce Rabboni, ut videam, Maître, que je voie, m’amena à supplier le Christ, à lui adresser sans relâche cette prière : “ Seigneur, que s’accomplisse ce que Tu veux. ”

Par ailleurs, la parole de Dieu, semée en son cœur par cette lecture posée, jaillit spontanément au moment voulu avec une force qui tient de l’expérience mystique. C’est un fait de ce genre que recèle cette note tirée de ses Cahiers intimes, en octobre 1931 :

« J’ai senti l’action du Seigneur, qui faisait naître dans mon cœur et sur mes lèvres, avec la force de quelque chose d’impérieux et de nécessaire, cette tendre invocation : Abba ! Pater !— ce sont des mots de Ga 4, 6 — J’étais dans la rue, dans un tramway [...]. J’ai sans doute fait cette prière à voix haute.

Et j’ai marché dans les rues de Madrid, une heure, deux peut-être, je ne saurais le dire, je n’ai pas senti le temps passer. On a dû me prendre pour un fou. J’ai contemplé, avec des lumières qui n’étaient pas les miennes, cette vérité stupéfiante, qui s’est enflammée comme une braise dans mon âme pour ne plus jamais s’éteindre. »

Certains passages bibliques lui ont permis de faire des expériences de ce type et l’ont placé dans de surprenantes perspectives innovatrices. C’est le cas des paroles de Jésus dans l’Évangile de saint Jean : « Et moi, quand je serai élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12, 32), que l’évangéliste explique : « Il signifiait par là de quelle mort il allait mourir. (Jn 12,33) ». Saint Josémaria le 7 août 1931, deux mois avant le texte précédemment cité il notait :

« Vint le moment de la Consécration : lorsque j’élevais la sainte Hostie, sans perdre le recueillement voulu, sans me distraire — je venais de faire intérieurement l’offrande à l’Amour Miséricordieux —, ces paroles de l’Écriture : « et si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad me ipsum » (Jn 12, 32) sont venues à mon esprit, avec une force et une clarté extraordinaire. D’habitude j’ai peur en présence du surnaturel. Mais, tout de suite après, il y a le ne timeas ! C’est Moi. J’ai alors compris qu’il revenait aux hommes et aux femmes de Dieu, de hisser la Croix au sommet de toutes les activités humaines, avec les enseignements du Christ... Et j’y ai vu le Seigneur triompher, attirant à lui toutes choses. »

Dans ce coup de pinceau biographique, il y a un petit détail, apparemment sans importance, à situer dans le contexte historique de l’époque, mais qui est très significatif. Les paroles qui le martèlent et qu’il reprend très souvent et avec des accents différents, — ut videam ! Abba, Pater !; et si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad meipsum ; ne timeas ! — sont toujours en latin. La raison est évidente : il lit la Sainte Écriture dans la Vulgate latine, comme c’était l’usage à l’époque. Mais ce détail apparemment anecdotique souligne qu’il « entend » la parole de Dieu dans l’aujourd’hui, maintenant, à chaque moment, comme il l’avait lue dans un texte en latin. C’est l’Esprit Saint qui provoque l’élan vital de la locution avec des paroles de l’Écriture, expression de la parole de Dieu. Saint Josémaria est un lecteur assidu et attentif de la parole de Dieu mais il n’est pas que lecteur, il écoute et cela lui permet d’entendre la voix de Dieu et de comprendre ce que le Seigneur veut lui communiquer avec ces paroles de l’Écriture.

On trouve fréquemment dans sa prédication et dans ses écrits des phrases courtes et incisives, comme celles dont on a parlé . Les paroles de l’Écriture sont toujours le canevas de son discours cependant il ne s’encombre pas d’habitude de questions académiques telles la présentation générale d’un passage, l’analyse de sa structure ou le développement de ses contenus. Parfois, il cite littéralement des versets suivis du texte biblique, mais généralement, il essaie de saisir et d’exposer leur contenu fondamental, brièvement et de façon énergique, pour en souligner l’impact provoqué à l’aide de quelques petits fragments. Une métonymie rappelle quelques mots et fait revivre une scène riche en évocations. Une considération de Sillon reflète bien cela :

« Veux-tu la vivre, cette sainte audace, et obtenir que Dieu agisse à travers toi ? — Aie recours à Marie, et Elle t’accompagnera sur la voie de l’humilité, afin que, devant ce qui est impossible à l’esprit humain, tu saches dire un “ fiat ”- que cela se fasse ! qui rattache la terre au Ciel. »

Il suffit ici de mentionner le mot fiat pour avoir en tête le verset entier — « Marie dit alors : Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait (fiat) selon ta parole. Et l’ange la quitta. » (Lc 1, 38) — qui évoque tout le passage de l’Annonciation et rappelle au lecteur que la vocation surnaturelle est un appel divin qui demande d’accepter sans ménagements des desseins de Dieu et les conséquences qui s’en suivent : l’Incarnation du Fils de Dieu. Cet ensemble de références n’est pas contemplé comme une réalité idéale et lointaine, mais comme faisant partie d’un monde qui appelle le lecteur à en faire partie.

Compte tenu du type de rapport avec la Bible qui se dégage des écrits de saint Josémaria en cette première approche, il faut chercher quelles sont les phrases courtes de la Bible qu’il évoque le plus fréquemment et voir dans quel sens il les emploie. C’est à ce sujet que nous consacrons le prochain chapitre de notre exposé.

On pourra seulement par la suite réfléchir sur l’attitude herméneutique des commentaires de saint Josémaria, en cherchant dans son œuvre des déclarations explicites sur sa façon de lire et d’apprendre à lire la Sainte Écriture, qu’il fait habituellement en passant, lorsqu’il glisse des commentaires au fil de ses méditations.

Paroles de la Sainte Écriture les plus citées

Le simple décompte numérique de l’emploi de la Bible dans les écrits de n’importe quel auteur est une approche très limitée et, en elle-même, très peu explicite. Cependant, elle fournit des données objectives et vérifiables à partir desquelles n’importe qui peut tirer des conclusions et commencer à travailler.

Il ne s’agit pas ici de faire un recueil de tables numériques ni une étude de fréquence statistique, mais de faire attention aux mots ou aux phrases qui sont les plus fréquents dans ses écrits, en tout genre et de tout style.

Pour le compte des fréquences nous nous sommes limités aux œuvres de saint Josémaria publiées à ce jour. D’un côté, il y a les textes, parus à de différentes dates, de Chemin, Saint Rosaire, Entretiens avec mgr Escriva de Balaguer et les recueils d’homélies Quand le Christ passe, publiés en vie de l’auteur, ainsi que l’Abbesse des Huelgas, étude historico juridique qui n’est pas du ressort de notre étude. Nous ajoutons Amis de Dieu, Sillon, Forge, Aimer l’Église et Chemin de Croix, que saint Josémaria avait déjà révisés pour qu’ils soient publiés mais qui n’ont été imprimés qu’après sa mort. On n’a pas pris en considération ses écrits encore non publiés. Nous sommes donc conscients que ce travail n’est qu’une première ébauche d’approche du sujet.

Ceci dit, une réflexion méthodologique s’impose : Le décompte numérique à lui tout seul, a-t-il un sens dans le cadre de notre étude ?

Je pense qu’il en a un car pour faire, dans la mesure du possible, une description empirique de la rencontre de Dieu et des hommes dans l’Écriture, il faut avoir recours aux données expérimentales et aux développements de l’esprit.

L’Écriture est prêchée, on l’écoute, on la lit. Mais à partir d’une considération phénoménologique, c’est par la lecture en premier que tout commence. On ne peut pas proclamer ni écouter ce qu’on n’a pas lu. Un texte non lu est lettre morte . C’est pourquoi se demander quels sont les textes que l’on connaît et qui ont été les plus utilisés dans son œuvre c’est se pencher sur des textes lus et écoutés qui ont eu une répercussion vitale dans la lecture qu’en a faite saint Josémaria.

De fait, la simple énumération des textes de la Sainte Écriture les plus explicitement cités est, en elle-même, suffisamment parlante. Les voici :

Les deux textes les plus cités, quatorze fois chacun, sont le verset 1, 38 de Luc et spécialement les paroles : « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole » et la première partie de l’hymne christologique de la Lettre aux Philippiens (Ph 2, 6-8) et surtout l’expression : « Il s’est humilié lui-même, obéissant jusqu’à la mort et à la mort sur une croix. »

Le troisième texte le plus fréquemment cité, douze fois, est celui de Mt 11, 29-30 : « Prenez sur vous mon joug et apprenez de moi qui suis doux et humble de cœur et vous trouverez le repos pour vos âmes car mon joug est doux et mon fardeau léger. » Ce texte, tout comme les deux autres, sont les plus cités et des exemples notoires de la puissance de la parole, cet élan qui pousse à agir. Ces paroles demandent une acceptation soumise des desseins de Dieu et un don personnel sans ménagements et sans peur, sur les traces de Jésus.

Puis il y a un quatrième texte qu’il évoque dix fois. Il s’agit de l’évangile de saint Jean qui décrit la scène au pied de la Croix : « Près de la croix de Jésus se tenaient sa Mère et la sœur de sa Mère, Marie de Cléophas ainsi que Marie Madeleine. (Jn 19, 25) » Ce texte a un caractère informatif mais il nous parle aussi de la fidélité.

En cinquième et sixième place il y a deux textes aux origines et aux contextes très différents, mais au contenu similaire. Ils sont cités neuf fois. Le premier est tiré de l’évangile de saint Jean. Ce sont les propos de Jésus à la Dernière Cène : « Je suis la vigne, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en Moi et Moi en lui, celui-la porte beaucoup de fruit, car sans Moi vous ne pouvez rien faire. (Jn 15, 5) » Le deuxième est une exclamation de saint Paul : « Je puis tout en celui qui me rend fort. (Ph 4, 13) » Tous les deux, et spécialement le second, ont une dimension expressive à forte composante didactique : ils montrent bien où est le fondement de l’énergie intérieure que le lecteur cherche parce qu’il a besoin de répondre à l’appel des textes que nous avons cités auparavant.

Ensuite, l’Écriture ressort en sa dimension appellative : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. (Mt 16, 24) » Ce verset est repris et commenté huit fois dans les œuvres de saint Josémaria que nous considérons .

Dans les citations récurrentes de sa prédication et de ses écrits, il y a un appel très fort de Jésus : «Je vous donne un commandement nouveau, aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. À ceci on reconnaîtra que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres. (Jn 13, 34-35) » Il y a aussi un aveu explicite d’amour pour Jésus, en réponse à sa demande directe : « M’aimes-tu ? et saint Pierre de répondre : « Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime. (Jn 21, 17) » Ces textes sont cités sept fois.

Pour finir, il y a trois textes cités six fois chacun. Le premier est une exclamation parlante : « Je suis venu apporter le feu sur la terre et que puis-je vouloir sinon qu’il brûle ? (Lc 12, 49) » Le deuxième est un appel confiant, inséparablement uni à l’aveu des dispositions les plus intimes : « Père si tu veux, éloigne de moi ce calice, mais que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne. (Lc 22, 42) » Et le troisième, à un caractère informatif, explique que ces dispositions ne sont pas quelque chose d’extraordinaire puisque tous les chrétiens sont appelés à la sainteté : « Car il nous a choisis dès avant la création du monde afin que nous soyons saints et immaculés en sa présence dans l’amour. (Ep 1, 4) »

Ces données sont très révélatrices de l’attitude et de l’intérêt avec lequel saint Josémaria aborde la méditation de la Bible, si on considère que dans son œuvre publiée il y a des milliers de références bibliques très diverses. Il aborde tous les grands sujets de la catéchèse et de la spiritualité chrétiennes en ayant constamment recours à la Sainte Écriture. La richesse des textes bibliques dont il se sert et qu’il commente est donc immense. Toutefois, les textes récurrents ne sont pas très nombreux. Le choix que nous venons de faire concerne les textes cités plus de cinq fois et il n’est pas très long. C’est pourquoi son contenu nous livre une information implicite suffisante sur la façon dont il lit l’Écriture.

On peut noter, en premier, qu’il ne s’agit pas de passages entiers. Il n’y a, parmi les textes fréquemment cités, aucune péricope complète. Et, en même temps, on y découvre une forte densité de contenu qui concerne deux aspects surtout. Le premier est la présentation de Jésus-Christ comme modèle du chrétien, aussi bien dans ses faits que dans ses paroles, Le deuxième est l’incitation à la réponse de l’homme à Dieu, et dans ce cadre, la figure de Marie est paradigmatique dans sa réponse affirmative aux desseins de Dieu qui lui sont manifestés à l’Annonciation, un oui qui demeure intact au pied de la Croix .

Se pencher sur les commentaires de ces textes aide à percevoir la vigueur de la parole de Dieu qui est appelée à montrer son efficacité aujourd’hui et maintenant, à chaque instant. Soyons ainsi attentifs à ces paroles de saint Josémaria lorsqu’il parle de l’obéissance :

« Le Seigneur ne nous cache pas que cette obéissance soumise à la volonté de Dieu exige renoncement et générosité, car l'Amour ne demande pas de droits: ce qu'il veut, c'est servir. C'est le Seigneur qui, le premier, a parcouru ce chemin avec amour. Jésus, comment as-tu obéi? Usque ad mortem, mortem autem crucis : jusqu'à la mort, et à la mort sur la croix. Il faut sortir de soi-même, se compliquer la vie, la perdre par amour de Dieu et des âmes. Voici que tu voulais vivre et tu voulais que rien ne t'arrive; mais Dieu en a décidé autrement. Il y a deux volontés: la tienne doit être corrigée, pour s'identifier à la volonté de Dieu, et non pas celle de Dieu infléchie pour s'accommoder à la tienne . J’ai vu, à ma plus grande joie, beaucoup d'âmes risquer leur vie comme toi Seigneur, usque ad mortem —, pour accomplir ce que la volonté de Dieu leur demandait : elles ont mis leurs idéaux et leur travail professionnel au service de l'Eglise, pour le bien de tous les hommes.

Apprenons à obéir, apprenons à servir: il n'y a pas de plus grande maîtrise de soi que de vouloir se livrer volontairement au service des autres. Lorsque nous sentons bouillonner en nous l'orgueil, cette superbe qui fait que nous nous prenions pour des surhommes, c'est alors qu'il faut dire non, dire que notre seul triomphe doit être celui de l'humilité. C'est ainsi que nous nous identifierons au Christ sur la Croix — non pas mal à l’aise, ni agacés ou de mauvais gré, mais tout decoeur —, car cette joie de l'oubli de soi est la meilleure preuve d'amour qui soit. »

Lorsqu’il prend Jésus à témoin, il se sert des textes de la Sainte Écriture pour ltoucher profondément l’âme du lecteur avec son style entrecoupé et direct . Les paroles de l’Écriture (Ph 2, 8-9) sont une réponse à la question qu’il a posée à Jésus — « comment as-tu obéi ? » —. Nous nous sommes donc dans une lecture qui se déroule dans un processus de communication au sens strict, réalisée à partir de la prière. Tout en contemplant l’exemple de Jésus, il ne s’arrête pas à l’admirer, plein de reconnaissance, mais il se sert de la force du texte pour interpeller l’interlocuteur dans son quotidien et le conduire vers l’identification vitale avec le Christ. Il témoigne personnellement de l’efficacité de la parole — « J’ai vu, et je m’en suis réjoui, beaucoup d’âmes qui ont mis leur vie en jeu — usque ad mortem, comme Toi Seigneur —, en cherchant à faire ce que la volonté de Dieu leur demandait… » — et il aide à concrétiser une réponse, dans un don généreux de soi.

Le commentaire de saint Josémaria ne cherche pas à être directement l’exposé d’un académicien ni une réflexion théologique — sur la kénose du Christ — ni à rédiger un traité ou à présenter les fondements bibliques d’une vertu déterminée — l’obéissance, dans le cas précédemment cité —. Ici, et dans la plupart des cas, ce qui l’intéresse c’est la vie du chrétien actuel, du disciple du Christ qui se doit d’imiter le Maître jusqu’à son identification à lui pour le rendre présent au milieu du monde .

Le texte aux Philippiens évoque le contraste entre le Christ et Adam qui, n’étant qu’un homme, a cherché à être comme Dieu (cf. Gn 3, 5), alors que Jésus-Christ, étant Dieu, « s’est anéanti lui-même » (Ph 2, 7). L’obéissance du Christ jusqu’à la Croix (Ph 2, 8) a réparé la désobéissance du premier homme. Saint Josémaria lit ce texte et, tout en contemplant l’exemple du Christ, il voit le chrétien de notre temps. Face à la tentation de devenir un « surhomme », « d’être comme Dieu » et de désobéir, il lui propose le moyen d’être vraiment homme et seigneur — à l’image de Dieu —en imitant le Christ qui nous apprend la « seigneurie du service ».

Dans un contexte différent, il y a un autre exemple qui illustre la même attitude herméneutique. Il s’agit d’une interview . On lui pose la question suivante : Finalement, à votre avis quel serait le rôle de la femme à promouvoir dans la vie de l’Église ? Il répond longuement et termine en disant :

« Christianiser de l'intérieur le monde entier, lui montrer que Jésus-Christ a racheté toute l'humanité, telle est la mission du chrétien. Et la femme y prendra part, au foyer aussi bien que dans toutes ses autres occupations, avec les atouts qui lui sont dévolus.

Ce qui compte au demeurant c’est que, comme la Sainte Vierge Marie — femme, Vierge et Mère —, elles vivent face à Dieu en prononçant ce fiat mihi secundum verbum tuum (Lc 1, 38), qu'il m'advienne selon ta parole, dont dépend la fidélité à la vocation personnelle, unique dans chaque cas et non interchangeable, qui fait de nous tous des collaborateurs à l’œuvre de salut de Dieu en nous et dans le monte entier. »

Il reprend la réponse de Sainte Marie à l’annonce de l’ange et la glisse à l’oreille de la femme contemporaine. Ainsi, au foyer ou ailleurs, dans son occupation professionnelle, elle exprimera son adhésion inconditionnelle à l’appel que Dieu lui adresse, là où elle se trouve, afin qu’elle travaille de façon directe à « l’œuvre de salut de Dieu en nous et dans le monde entier. »

Au-delà d’un commentaire mot à mot du texte biblique, et comme ce fut le cas pour le texte aux Philippiens, c’est l’anthropologie chrétienne de « l’homme nouveau » — et dans ce cas précis de « la femme nouvelle » — qui affleure. Il est appelé à rendre actuel l’Évangile non seulement avec une lecture actualisée, mais dans la vie réelle de tous les jours.

On pourrait multiplier les exemples. Nous avons choisi un commentaire de saint Josémaria aux deux textes bibliques qu’il cite le plus dans son œuvre. Cependant, ils sont largement suffisants pour étayer notre objectif en cette phase de notre étude : pénétrer, à travers les données numériques facilement vérifiables, dans ce que ces textes souvent repris, dévoilent implicitement son attitude herméneutique.

Nous devons désormais chercher dans ses écrits des expressions plus explicites sur sa façon de lire la Bible.

« Comme un personnage de plus »

L’esthétique de la réception a bien souligné que lire n’est pas simplement décoder de façon linéaire des signes écrits. Dans la lecture, on met en œuvre des ressorts qui permettent d’aller au fond du texte. On poursuit la lecture en pensant à ce que l’on vient de lire précédemment. Devant les yeux, de nouvelles questions attendent une réponse. Le lecteur remplit les vides du texte, il retrouve les aspects ou les détails dont le texte ne dit rien . En définitive, c’est grâce aux signes que l’on construit un monde de références, que l’on configure ce qu’on a appelé « le monde du texte » , ce dont le texte parle.

En lisant la Sainte Écriture, le texte biblique lui-même demande que le lecteur s’approprie la Parole de Dieu qui y est livrée. Et dans l’Église, cette opération se fait sous la conduite du texte et aussi sous celle du Saint-Esprit. Le « monde du texte » du lecteur chrétien lui demande l’avoir à son esprit le contenu et l’unité de toute l’Écriture, la Tradition vivante de toute l’Église et l’analogie de la foi .

Le texte est un ensemble de vérités, ouvert aux questions qui lui sont posées. Par exemple, l’évangile de saint Marc ne dit pas seulement ce que l’évangéliste veut transmettre à ses lecteurs en l’écrivant, mais bien plus. L’évangéliste veut certes montrer que l’on a besoin de savoir qui est le Christ, le confesser et faire que l’Évangile atteigne les confins de la terre. Mais, à travers le monde du texte qu’il construit, on peut aussi connaître d’autres choses, comme le comportement de Jésus, celui de Pierre, celui des autres. Il nous parle aussi de la valeur accordée aux traditions des anciens, et de nombreux aspects concrets des us et coutumes de l’époque.

Si le texte est un univers de vérités ouvert au questionnement, on voit bien que la profondeur des réponses offertes au lecteur dépend de la qualité de la question que celui-ci voudra bien lui poser. Ceci étant, dans cette partie de notre exposé, nous allons chercher à comprendre comment saint Josémaria questionne le texte.

Le conseil bref et incisif que l’on trouve dans Forge nous permet de détecter, derrière son laconisme, un lecteur qui aborde les Sainte Écritures voulant savoir ce que Dieu lui dit en cette lecture personnelle :

« Veux-tu apprendre quelque chose du Christ et prendre exemple sur sa vie? — Ouvre le saint Evangile, écoute le dialogue de Dieu avec les hommes..., avec toi. »

L’Évangile est un livre qui offre la possibilité de se pencher sur des faits qui ont eu lieu dans un lointain passé et qui sont toujours de mise aujourd’hui. Le lecteur est appelé à s’y impliquer, en écoutant attentivement les mots qui lui sont adressés. Ce conseil est donc l’expression herméneutique largement vécue qui fait naturellement surface dans sa prédication :

« Ouvrons comme d’habitude le Nouveau Testament, cette fois-ci au chapitre 11 de saint Matthieu : apprenez de moi, car je suis doux et humble de cœur (Mt 11, 29).Qu’en penses-tu? Nous devons apprendre de lui, de Jésus, notre seul modèle. Si tu veux avancer en évitant les faux pas et les égarements, tu n’as qu’à marcher là où il a marché, poser la plante de tes pieds sur l’empreinte de ses pas, pénétrer dans son Cœur humble et patient, boire à la source de ses commandements et de ses actes d’amour. En un mot, tu dois t’identifier à Jésus-Christ, tu dois t’efforcer de devenir, pour de bon, un autre Christ parmi tes frères les hommes. »

Dans cette façon d’aborder le texte biblique, l’auteur implique le lecteur. Il lui parle de son expérience personnelle et l’invite à chercher lui-même les façons de se mettre à l’écoute du Christ. « On peut encore avancer que l’intention du bienheureux Josémaria, disait il y a quelques années un critique littéraire, est de faire en sorte que le récepteur prenne l’initiative et parvienne à être créateur, co-auteur, auteur principal du discours. » C’est la raison pour laquelle, saint Josémaria nous invite à lire la Sainte Écriture de l’intérieur :

« Pour approcher le Seigneur à travers les pages du saint Évangile, je vous recommande toujours de nous donner la peine d’entrer dans la scène, d’y participer comme un personnage de plus. Je connais nombre d’âmes, du tout venant, qui le font. Vous serez ravis comme Marie, suspendue aux lèvres de Jésus ou, comme Marthe, vous oserez sincèrement lui confier vos soucis, même les plus insignifiants. »

Cependant, et c’est la clef pour accéder à sa pensée et à sa façon de lire la Bible, il n’invite pas le lecteur à voyager avec son imagination dans le temps, afin de récréer un récit dans l’ambiance d’un passé lointain, mais à contempler le monde actuel dans lequel il est plongé et à avoir recours au texte sacré comme point de référence pour donner sa juste valeur à son expérience personnelle :

« Mêlez-vous souvent aux personnages du Nouveau Testament. Savourez les scènes touchantes où le Maître prodigue ses gestes divins et humains et parle, avec des tournures humaines et divines, de l’histoire divine du pardon, de celle d’un Amour sans répit pour ses enfants. Cet avant-goût du Ciel est de mise aujourd’hui, dans l’actualité pérenne de l’Évangile : l’on palpe la protection divine, on peut même assurer qu’on touche là du doigt, un rempart de plus en plus solide, au fur et à mesure que nous avançons, malgré nos faux pas, au fur et à mesure que nous commençons et recommençons. C’est cela la vie intérieure vécue dans l’espérance en Dieu. »

Ceci dit, est-ce du cinéma, un pur exercice de l’imagination, que de récréer au présent des scènes du passé ? Saint Josémaria est bien conscient de cet écueil et sa réponse dévoile le sens théologique de la vie d’un chrétien :

« Vis près du Christ ! Sois, dans l'Évangile, comme un personnage de plus, qui partage la vie de Pierre, de Jean, d’André..., car le Christ est toujours vivant: "Iesus Christus, heri et hodie, ipse et in saecula!" — Jésus-Christ est vivant! Aujourd'hui comme hier. Il est le même, pour les siècles des siècles. »

Et ce, parce que Jésus n’est pas une figure admirable que seule une imagination créatrice pourrait reconstruire à partir de fouilles archéologiques d’il y a plus de deux mille ans, mais le Christ ressuscité qui vit aussi maintenant et qui cherche, parmi nous, des disciples qui vivent à ses côtés et travaillent près de Lui. Qui plus est, des femmes et des hommes qui, identifiés au Christ, le rendent présent dans le monde .

L’on pourrait dire que, sur ces bases théologiques, il est possible de trouver dans son œuvre un guide de lecture de la Bible en tant que Sainte Écriture, adapté au lecteur qui écoute la Parole de Dieu qui s’adresse à lui personnellement. Voici ce qu’il recommande dans l’une de ses homélies :

« Dans ta prière, je te conseille de t’impliquer dans les scènes de l’Évangile, comme un personnage de plus. Représente-toi d’abord la scène ou le mystère, qui te servira à te recueillir et à méditer. Ensuite mets à contribution ton intelligence pour contempler un trait de la vie du Maître : son Cœur attendri, son humilité, sa pureté, son accomplissement de la Volonté du Père. Puis raconte-lui ce qui t’arrive d’ordinaire dans ce domaine, ce qui se passe chez toi, en ce moment. Sois attentif. Il tient peut-être à te faire voir quelque chose : c’est l’heure des motions intérieures, des reproches, des prises de conscience. »

Il ne s’agit plus de rester inactif dans la contemplation des scènes, mais de les vivre personnellement « comme un personnage de plus ». Saint Josémaria « exerce son ministère de la Parole en nous apprenant à écouter la voix de Dieu qui appelle chacun de nous à se sanctifier dans sa situation personnelle, au poste que la Providence lui a assigné ».

« En ouvrant le Saint Evangile, dis-toi que tu ne dois pas seulement connaître, mais vivre ce qui y est rapporté : les oeuvres et les paroles du Christ. Tout cet ensemble et chacun des points du récit a été recueilli dans le moindre détail, pour que tu l'incarnes dans les circonstances concrètes de ton existence.

Quant aux catholiques, le Seigneur nous a appelés à le suivre de près et, c’est dans ce texte saint, que tu découvriras la Vie de Jésus tout en y retrouvant aussi ta propre vie.

Toi aussi, tu apprendras à demander, plein d'Amour comme l'Apôtre: "Seigneur, que veux-tu que je fasse:..." pour entendre au fond de ton âme cette réponse catégorique : La volonté de Dieu !

Eh bien, prends l'Evangile tous les jours, et lis-le, vis-le comme une norme à suivre. — C'est ainsi qu'ont procédé les saints. »

Saint Josémaria implique le lecteur dans les récits des scènes évangéliques, « ‘il plonge et nous fait plonger’ dans l’Évangile qui acquiert alors sa dimension formatrice nécessaire et convaincante, tout en nous introduisant à la connaissance du mystère du Christ et à la communion avec Lui ». Et c’est à la lecture de la Passion qu’il donne une force singulière :

« Veux-tu suivre Jésus de près, de très près ?… Ouvre le saint Évangile et lis la Passion du Seigneur. Ne la lis pas seulement, vis-la. La différence est grande. Lire, c’est se rappeler un événement passé ; vivre, c’est se trouver là quand quelque chose arrive, c’est être un personnage parmi d’autres dans la scène.

Alors, laisse ton cœur s’épancher et se blottir près du Seigneur. Et lorsque tu percevras que ton cœur t’échappe — que tu es lâche, comme les autres —, demande pardon pour tes lâchetés, et pour les miennes. »

Le discours de saint Josémaria se situe dans le cadre du logos pragmatikós, de la parole qui agit afin de conduire le lecteur vers la rencontre de Dieu. Comme cela a été si bien dit dans l’analyse de son œuvre littéraire, « l’auteur réalise avec son discours des démarches successives : celle de sa contemplation personnelle, d’abord, puis celle de faire en sorte que le lecteur récepteur contemple à son tour […] Le but n’est pas qu’esthétique. Il y a une volonté délibérée d’émouvoir le lecteur pour le plonger dans la contemplation ».

Ceci dit, il faut noter cette actualité pérenne de l’Évangile : « Respectant le texte et son enseignement, l’éxégèse du fondateur de l’Opus Dei est celle d’une « implication totale » qui rassasie l’âme à son passage. »

En dialogue avec la Parole de Dieu

Après cette ébauche d’approche à la façon de lire le texte biblique tirée de l’œuvre de saint Josémaria analysée, nous allons procéder à la synthèse.

Notons, tout d’abord, que l’amour des « petites choses » dont on a parlé est inséparable de la perception extrêmement aiguë des détails, surtout s’il s’agit de paroles de l’Évangile. Ces contenus ont laissé une telle trace en lui que lorsqu’il écrit on dirait qu’il n’a rien de personnel à y ajouter si ce n’est la conclusion tirée des mots ou des phrases de l’Écriture dont il a fait personnellement l’expérience.

Saint Josémaria conduit ses lecteurs du particulier, du concret, au général. Il parvient à faire que ce qui semblait sans importance devienne significatif grâce à un style particulier qui met en relief les qualités spécifiques du texte de la Sainte Écriture.

Si on regarde de près ses écrits, on voit que la plus petite mention d’un fragment de texte saint est témoin d’une lecture attentive et des traces qu’elle a laissées chez lui, c’est-à-dire de l’efficacité du texte lu.

« Pour saint Josémaria, la Bible a toujours été le langage référentiel primaire. » Toutes ses pages sont imprégnées de mots et de contenus de la Sainte Écriture qui, mille et mille fois médités, lui ont permis d’établir un dialogue avec la Parole de Dieu, indispensable dans ce processus de communication qui offre une issue vitale au texte biblique en déployant son efficacité . Saint Josémaria insère ces petits fragments ou ces phrases à résonance biblique dans le fil de son récit, et

même si ce n’est pas toujours le cas, il y ajoute parfois un petit commentaire, et laisse que sa citation concentrée mette en route le processus intérieur du lecteur.

Il n’est donc pas un théoricien de l’éxégèse ni de l’herméneutique, mais un lecteur de la Sainte Écriture en tant que telle et un excellent guide pour une vraie lecture, celle qui ne se laisse pas distraire par l’environnement mais qui arrive à établir une communication personnelle avec la Parole de Dieu qui parle dans le texte biblique. Saint Josémaria ne méconnaît pas les analyses érudites des textes des passages bibliques, mais il choisit de n’en montrer que des bribes, comme si le texte biblique demandait à être délivré de toute attache méthodologique l’étouffant et risquant de le rendre stérile s’il distrait de l’essentiel l’attention du lecteur dans ce processus de communication.

Saint Josémaria ne pénètre pas dans la Bible comme un chineur chez un antiquaire. Sa lecture des textes n’a rien d’une reconstruction archéologique d’un passé historique lointain. Au contraire, il lit des textes qui deviennent vivants et s’insèrent pleinement dans le débat culturel et religieux de chaque instant. Bien que Saint Josémaria connaisse très bien les grands courants exégétiques de son temps, empreints de méthodologie historico-critique, structurelle, sociologique voire même psychanalytique, ses commentaires sont d’un autre niveau. Et le lecteur attentif de son œuvre apprécie immédiatement que cette maîtrise lui offre une réponse valable, vraiment sensible aux problèmes cuisants du monde actuel. C’est une réponse qui ne se laisse pas attraper dans le filet du conventionnel, mais qui libère la lecture de la Bible d’attaches qui, tout en étant en partie nécessaires, pourraient étouffer son actualité et son efficacité.

Ce qui est le plus propre aux écrits bibliques, ce qui fait qu’ils soient différents des grandes épopées littéraires du monde ancien et des grands livres religieux produits de l’esprit humain à travers les temps et les cultures, c’est que ses textes ne parlent pas que du passé, ne se limitent pas seulement aux paradigmes existentiels des grandes questions qui intéressent l’être humain. Il y a quelque chose qui transcende le lecteur et qui, en quelque sorte, lui dévoile sa raison d’être et le sens de sa vie. Un message que l’homme n’a pas imaginé et qui peut être le fondement de la vie humaine précisément parce qu’il la précède et la soutient, quelque chose de plus grand que notre propre pensée. On peut y écouter la Parole de Dieu et, grâce à une lecture prête à se laisser interpeller, entrer en dialogue avec lui.

Nous avons noté que le texte est un univers de vérités ouvert au questionnement et que, par conséquent, la profondeur des réponses dépend du caractère de la question posée par le lecteur. Ceci dit, le lecteur de la Bible dans l’Église peut noter que la lecture de saint Josémaria est tout à fait exceptionnelle, puisque les questions qui le font accéder à cette lecture sont toujours les plus pertinentes lorsqu’on tient à connaître Dieu et les desseins de sa volonté, pour tous les temps, tous les lieux, à travers les paroles de l’Écriture. Il ne s’arrête pas à montrer dans le détail tant d’aspects littéraires et historiques qui configurent le « monde du texte » dans la Bible et qui sont intéressants, bien sûr, mais il s’attache directement à ce qui est décisif, la rencontre personnelle avec la Parole de Dieu.

De ce fait, il apporte à la sagesse de l’Église de nouveaux chemins pour mettre en pratique ce que le concile Vatican II recommande lorsqu’il exhorte à ce que toute la prédication de l’Église soit nourrie de la Sainte Écriture qui en sera toujours la règle. Voici donc le texte de la Constitution dogmatique Dei Verbum :

« Dans les livres saints, le Père qui est aux cieux s’avance de façon très aimante à la rencontre de ses fils, engage conversation avec eux ; une si grande force, une si grande puissance se trouve dans la Parole de Dieu, qu’elle se présente comme le soutien et la vigueur de l’Église, et, pour les fils de l’Église, comme la solidité de la foi, la nourriture de l’âme, la source pure et intarissable de la vie spirituelle. »

La lecture qu’en fait saint Josémaria et qu’il propose est de ce type là. Et si la théologie est appelée à étudier l’efficacité de la Sainte Écriture, la vie de saint Josémaria et les œuvres qu’il a promues par son encouragement, sont une preuve plus qu’éloquente de la force transformatrice de la parole biblique dans l’histoire humaine de notre temps.