Tournée catéchétique à travers la Péninsule Ibérique (1972)

Dans les années 70, à la fin du Concile, ils étaient nombreux à lancer leur interprétation arbitraire et risquée des textes conciliaires. Le Père sentait le besoin de prêcher la vérité haut et fort, de toucher beaucoup de gens, de donner la doctrine à mains pleines pour lutter contre cette confusion. L’été 1972, il mit en route un plan d’action apostolique longtemps mûri.

Tournée catéchétique à travers la Péninsule Ibérique (1972)

Saint Josémaria parcourut la Péninsule Ibérique du 4 octobre au 30 novembre 1972. Il séjourna à Pampelune, Bilbao, Madrid, Porto, Lisbonne, Séville, Valence et Barcelone.

Il se décida à entreprendre une nouvelle « tournée catéchétique », comme il la qualifiait. La foule fut si nombreuse que les prévisions des organisateurs, en nombre de réunions et en capacité des locaux, furent dépassées. Le projet était de parcourir, du nord au sud et inversement, la péninsule ibérique, en s’arrêtant dans les principaux endroits où les gens en contact avec les activités apostoliques de l’ Opus Dei pourraient venir. Le Père commencerait par Pampelune, puisqu’il devait y assister, en tant que Grand Chancelier de l’Université de Navarre, à une importante cérémonie au début d’octobre.

Mais, avait-on pensé à la santé du Père ? Une brève annotation en langage médical accompagne les résultats d’analyses faites à la clinique : « Le 9-X-72 nous le voyons à Pampelune. Nous le trouvons bien. » C’était au moment où il commençait son parcours. À la fin de son séjour, on lui fait à nouveau un examen et l’on note : « Le 22-X-72 nous le voyons à Barcelone. Il a eu une rhinite et de la pharyngite. Pour le reste, il est très bien, malgré le très intense rythme de travail auquel il a été soumis pendant les deux derniers mois. »

Vidéo d’une réunion de saint Josémaria avec un groupe de prêtres, à Pampelune, le 6 octobre 1972

Si nous nous lançons dans les statistiques, le Père avait une moyenne de trois ou quatre réunions par jour, devant une importante assistance qui comprenait souvent plusieurs milliers de personnes. En outre, il recevait continuellement de petits groupes et des familles qui lui rendaient visite à toute heure du jour. Au total, plus de cent cinquante mille personnes l’écoutèrent au cours de ces catéchèses. Ce voyage pastoral mit à l’épreuve la résistance physique du Père, mais comme il ne se plaignait pas, et ne donnait pas le moindre signe d’épuisement, tous pensaient que, toujours souriant, alerte et disponible, il n’était pas en mauvaise santé. Pour connaître son état, ne serait-ce qu’en passant, il suffit de lire ce que, de Rome, il écrivait au conseiller d’Espagne, dix jours après ce voyage : Je pense que tu dois être très fatigué, après la volée de coups de ces deux mois de voyages à travers toute la péninsule. Et il lui suggère d’aller se reposer un peu dans un coin tranquille.

photo de carte du 4 octobre au 30 novembre 1972, Voyage de saint Josémaria Escriva à travers la Péninsule Ibérique

Il ne lui vint pas à l’idée d’en faire autant. Quatre semaines après le rapport médical optimiste de novembre, des symptômes inattendus apparaissent : une vitesse de sédimentation globulaire élevée et un taux insuffisant d’hématies, une fonction rénale laissant à désirer, une tendance à l’augmentation de l’urée dans le sang, etc. L’organisme payait avec retard l’effort de la tâche pastorale, non de manière dramatique, mais avec une diminution des réserves vitales.

Le 4 octobre donc, venant de France où, à Lourdes, il avait mis son voyage catéchétique sous la protection de la Sainte Vierge, il arrivait à Pampelune. La première réunion eut lieu le 6, dans une salle des actes. La joie qui régnait, le ton simple et affectueux du Père, prêt à répondre à toute question, en fit une réunion de famille. Je viens parler de ce que vous voudrez, dit-il. Je ne vais pas vous faire un sermon. Alors voyons si vous vous y mettez, et si vous proposez les sujets qui peuvent vous intéresser.. Une fois la glace brisée, les questions pleuvaient : « Père, comment se manifeste la vocation à l’Opus Dei ? » demandait un jeune homme. « Que nous dites-vous pour nos parents ? » ajoutait une jeune fille. « Père, nous sommes un groupe de gens de la campagne… »

Le 12 octobre 1972, à Gaztelueta, Bilbao.

Le 7, il présida la cérémonie d’investiture de trois docteurs honoris causa, trois grands professeurs, Paul Ourliac, de Toulouse, le marquis de Lozoya, de l’Université de Madrid, et Érich Letterer, de Tubingen. Avec solennité, leur furent remis barrette, anneau, livre et diplôme, et, pour terminer, le Grand Chancelier prononça un discours.

Au même moment, les Amis de l’Université de Navarre tenaient une assemblée générale. Le Père, pour les remercier de leur coopération et de leur aide financière, qui permettait à cette Université d’exister, alla les saluer, des professeurs aux employés, aux appariteurs et aux femmes de ménage. Le dimanche 8 octobre, au cours d’une rencontre avec les membres de l’Œuvre et un grand nombre de coopérateurs de Navarre et des provinces limitrophes, qui lui parurent préoccupés de la situation de l’Église, il dit :

N’est-il pas vrai que, lorsque les fidèles vont trouver un prêtre, c’est pour chercher force, lumière et conseil ? Souvent ils ont une vraie faim, de la bonne volonté, le désir qu’on les aide à aller de l’avant, et ils ne trouvent ni le conseil, ni la force, ni la foi : ils ne rencontrent que le doute et les ténèbres. Et je ne veux pas penser qu’il peut en être ainsi. Je ne le veux pas ! Nous allons demander tous ensemble que cela n’arrive pas.

Lors d’une réunion avec des jeunes gens à Madrid, le 24 octobre 1972

À Bilbao avec des prêtres

Le 10 octobre, il partit à Bilbao et logea au centre de rencontres d’Islabe, où il reçut des visites par petits groupes, tout en ayant le jour de son arrivée une réunion avec un grand nombre de prêtres. Il s’y épancha, leur parla de problèmes de pastorale, de liturgie et insista sur la charité qu’ils devaient avoir à l’égard de leurs frères prêtres du monde entier :

On nous a toujours dit qu’un prêtre ne se sauve ni ne se damne tout seul […]. Eh bien, nous allons sauver des prêtres, c’est un devoir de justice. Et nous ne les sauverons pas si nous nous transformons en hérissons : il faut les traiter avec affection, il faut prendre sur soi. Nous ne devons pas former un petit groupe, mais nous ouvrir, ainsi, les bras en croix. Qu’ils voient que nous les aimons par des œuvres !

Le 2 novembre 1972, saint Josémaria fit un pèlerinage à Fatima, au Portugal

Il se plut à rappeler son passage par des paroisses rurales, peu après son ordination à Saragosse, et il s’agenouilla devant tous les prêtres présents pour recevoir la bénédiction qu’ils lui donnèrent en commun avant qu’ils ne se quittent.

Au lycée Gaztelueta, devant des centaines de parents d’élèves, il parla de leur rôle éducatif, parce que, disait-il, il ne suffit pas de mettre des enfants au monde, les animaux le font aussi. Il faut les former et préparer leur foi. Il leur rapportait ce qu’un garçon lui avait raconté :

Père, j’ai un ami qui se demande pourquoi on nous a enseigné la religion catholique dès notre enfance, et qui dit qu’on devrait nous enseigner toutes les religions… Et je lui ai répondu franchement : mon fils, dis à cet ami que, lorsqu’il est né, sa mère n’aurait pas dû lui donner — pardonnez-moi — son sein à téter, mais de la luzerne, et de la paille, et de l’orge… et en plus le sein, pour qu’il choisisse.

Madrid: nous ne sommes pas une foule, mais une famille

Le 10 novembre 1972

Il se trouva à Madrid du 13 au 30 octobre. Dans des collèges et des foyers, il assista à des réunions, matin et après-midi. Celles qui attirèrent le plus de monde eurent lieu dans la salle des actes du collège Tajamar, à Vallecas. Lors de la seconde République, il avait parcouru ces coins perdus pour visiter des malades, confesser des enfants, aider des malheureux. Ensuite, ses fils avaient commencé à faire classe aux enfants de ce faubourg, dans les étables d’une ferme, qui avaient maintenant cédé la place à de modernes installations, n’ayant rien à envier aux meilleurs établissements d’enseignement de Madrid. La salle des actes était comble pour ce que le Père continuait à qualifier de « réunions d’amis » (tertulias), parce qu’on y conversait, on posait des questions et on y répondait. C’était le système qu’il avait toujours employé, en tant que prêtre, dans la catéchèse avec les enfants : celui des questions et réponses.

Le Père ne prêchait pas, mais bavardait simplement, même s’il s’agissait de milliers de personnes. Sa présence, sa parole avaient le pouvoir merveilleux de réduire une foule à un petit groupe. Si un silence attentif était suivi d’un tonnerre d’applaudissements, il se plaignait : Vous avez applaudi, et cela ne me convient pas : parce que les gens qui nous verraient croiraient qu’il s’agit d’une foule, alors que nous sommes une famille, une famille très unie

Il commençait en général les réunions par quelques mots sur un sujet d’actualité ou sur ce qu’il avait noté dans ses récentes lectures spirituelles. La veille de son départ à Madrid, entrant dans la salle de Tajamar, il leur annonçait : De vous et de moi, saint Paul dit que notre conversation doit être dans les cieux, et c’est ce que nous allons faire en ce moment. Et, répondant à une des premières questions, il les exhortait à méditer la vie de notre Seigneur :

Pense aux trois années de sa vie publique. Pense à la Passion, à la Croix, qui est le plus grand outrage. Pense à la mort du Christ, à sa Résurrection. Pense à ces entretiens qu’avait le Seigneur, particulièrement après sa Résurrection, quand […] il parlait de beaucoup de choses, de tout ce que lui demandaient ses disciples. Ici nous l’imitons un peu, parce que vous et moi, nous sommes disciples du Seigneur et nous voulons échanger des impressions : nous nous réunissons pour bavarder. Pense à son Ascension au ciel.

On l’emmenait de réunion en réunion, et durant le trajet en voiture il demandait : à qui allons-nous parler ? Et suivant qu’il s’agissait de jeunes ou de familles, de telle profession ou condition, mentalement, il mettait en ordre ses idées ; mais le plus souvent il s’abandonnait à sa spontanéité et se recommandait à l’Esprit Saint avant de donner une réponse. Il ne tournait pas autour du pot, disait les choses clairement dès qu’il y avait quelque rapport avec Dieu. Aussi des femmes si peu vêtues dans l’espoir « d’attraper un mari, ne faisaient qu’attraper un bon rhume » , plaisantait-il.

Le 14 novembre 1972, à Valencia

Portugal, en route vers le sanctuaire de Fatima

On l’attendait au Portugal. Il arriva à Porto le 30 octobre et résida à la Quinta de Enxomil, un centre de rencontres, qui se trouvait dans les environs. Il s’y sentit heureux, regrettant seulement de ne pas parler portugais. De Porto et de Coïmbre, de Braga, Lamego et Viseu, des groupes plus ou moins nombreux vinrent le voir. Le matin du 2 novembre, il se mit en route pour Coïmbre, où il rendit visite à Sœur Lucie, la voyante de Fatima, au Carmel de sainte Thérèse. Il dit à la Mère prieure du couvent : Don Álvaro tout comme moi, depuis de très nombreuses années, nous faisons tous les jours un memento à la sainte messe pour cette chère communauté, particulièrement pour sœur Lucie qui a été l’instrument dont le Seigneur s’est servi pour que l’Opus Dei commence son activité au Portugal.

L’entrevue dura près de deux heures. Avant leur départ, sœur Lucie leur remit des bulletins en espagnol pour propager la prière du Rosaire et leur demanda de les distribuer au cours de leur voyage à travers l’Espagne. De là, le Père se rendit comme à l’accoutumée au monastère de sainte Claire, où l’on conserve dans une châsse en argent les restes de sainte Isabelle de Portugal. Vu leur commune ascendance aragonaise, il s’adressait à elle familièrement, tapotant le tombeau et l’appelant ma payse, Isabelle d’Aragon. Il lui demandait de protéger l’apostolat de l’Œuvre au Portugal.

Il se rendit ensuite à Fatima où il arriva à quatre heures de l’après-midi. Beaucoup l’attendaient sur l’esplanade et se groupèrent autour de lui. Ils récitèrent une partie du rosaire devant la première station du chemin de croix, car ils ne pouvaient entrer dans la basilique où une messe était dite. Ils y pénétrèrent ensuite. Le Père se dirigea vers la capelinha et tous récitèrent un Salve avant de poursuivre le voyage vers Lisbonne.

Le lendemain, le 3 novembre, eut lieu la première réunion pour les ménages, au pavillon du club Xénon. Malgré les fatigues de ces dernières semaines, le Père était heureux et paraissait avoir rajeuni. Tout en parlant, il priait, disait-il à ses auditeurs. Il les maintenait en présence de Dieu. Il leur disait : L’Opus Dei est formidable pour vivre et pour mourir, sans avoir peur de la vie, ni peur de la mort. Et cela était une réalité palpable. Sans relâche, il poursuivit sa catéchèse, jusqu’au 6, où il partit l’après-midi pour l’aéroport de Lisbonne afin de gagner Séville.

Séville, toujours fidèles, toujours joyeux, courageux et paisibles

À Séville, il vit nombre de ses filles et de ses fils. À Pozoalbero, centre de rencontres voisin de Jerez de la Frontera, des milliers de personnes vinrent à sa catéchèse, dans un espace contigu à la maison, aménagé pour l’occasion, et donnant sur le jardin de la propriété.

Saint Josémaria avec don Alvaro del Portillo, à Casteldaura, à Barcelone, le 27 novembre 1972

Autrefois, il y avait un enclos où l’on remisait les instruments de labour, et des bâtiments où fonctionnait un pressoir. On appelait encore cette cour « le pressoir ». On avait tendu au-dessus une grande bâche, non pour la chaleur, mais à cause de la pluie qui, la semaine précédente, s’était abattue sur l’Andalousie. Sur le mur du fond, au-dessus de la vaste estrade d’où pouvait parler le Père, on avait dressé une tenture où était écrite cette devise : Toujours fidèles, toujours joyeux, courageux et paisibles. C’étaient les paroles du toast qu’il avait porté le 2 octobre 1968, en ce même lieu.

Dans une de ces réunions, un jeune homme lui demanda un jour, leur signification, comment les appliquer aux relations avec Dieu ?

Cela veut dire qu’il faut avoir de l’intrépidité et aller lentement. C’est ce que veut dire avec courage et dans le calme : sois courageux, sans précipitation.

Les questions étaient très variées : le sens de la douleur, les soucis du métier, la maladie, l’indiscipline des enfants. Sourire et sérieux alternaient. Parfois, il arrivait au Père de dévoiler son âme avec candeur. Il leur enseignait à prier, en leur répétant quelque chose, qui avait rencontré un écho particulier à Pozoalbero, évoquant ceux qui foulaient le raisin dans le pressoir :

Je me mets non à l’intérieur de moi-même, mais au-dessus. Je me piétine, bien piétiné : tu n’es rien, tu ne vaux rien, tu ne peux rien, tu ne sais rien, tu n’as rien… Et cependant tu es un tabernacle de la Trinité, parce que l’Esprit Saint est dans notre âme en état de grâce, faisant en sorte que notre vie ne soit pas celle d’un animal, mais celle d’un fils de Dieu.

Devant tant d’enfants de son âme réunis, que ressentait-il? Aux « premières heures » de la fondation ils n’étaient qu’une douzaine. Il lui semblait voir un film en couleur, succédant aux films du cinéma muet :

Je vous ai dit, et vous m’avez entendu le dire très souvent et à des moments très durs, de rêver et car la réalité dépasserait vos rêves ? N’est-ce pas ? Je vous l’ai dit quand vous étiez peu nombreux. Maintenant, je vous répète la même chose : rêvez et la réalité dépassera vos rêves.

Le 13 novembre, il partit pour Valence, où il resta jusqu’au 20 de ce mois. À La Lloma, centre de rencontres proche de la capitale, il se lança à nouveau dans la catéchèse.

Il se souvenait de ses premiers voyages à Valence et de ses promenades sur la plage avec quelques garçons de saint Raphaël. Quand tout s’effondrait, en 1936, il avait gardé l’espoir et travaillait déjà à l’expansion de l’Œuvre à Valence et à Paris. Puis ce furent la guerre et les voyages d’après-guerre… Il se souvenait de sa première année de retraite à Burjasot, de l’appartement El Cubil (la tanière), cet humble entresol où, en proie à une forte fièvre, il avait passé une journée à grelotter enveloppé dans de vieux rideaux, et de l’impression de Chemin à Valence, en 1939. Trente ans avaient passé, mais tout ceci lui revenait en mémoire.

Dans le hall d’entrée de La Lloma, sur un coffre, on gardait un exemplaire de Chemin. Sur sa première page, le Père écrivit : Electi mei non laborabunt frustra. Valentiae, 14-XI-1972.

Ceux que j’ai choisis ne travailleront pas en vain. Il était encore jeune. Il était capable d’un incroyable enthousiasme apostolique, prêt à ne pas s’endormir sur ses lauriers, et sa vie intérieure s’épanouissait constamment. Les souvenirs de son apostolat ne donnaient lieu à nulle complaisance, mais bien à une action de grâces.

Le 17 novembre, il consacra un autel à la résidence universitaire de La Alameda. Il en dressa acte, disant :

Combien j’ai désiré — il y a longtemps, et pendant longtemps — que l’Opus Dei vienne en cette ville : jusqu’à ce que le Seigneur ait accordé généreusement à son serviteur d’avoir ici également des fils et des filles ; en revenant à Valence, mon cœur de Père heureux débordait d’actions de grâces envers Dieu…

Dans les villes où il passait, le Père rendait visite aussi à des couvents de religieuses cloîtrées. Celles-ci coopéraient par leurs prières à l’apostolat de l’Opus Dei. À ce titre n’était-il pas normal qu’il vienne leur parler ? C’est ce que lui fit remarquer l’abbesse du monastère de San José de Alloz, en Navarre. Il avait accepté son invitation, car il aimait les âmes qui consacrent leur vie à Dieu, dans la clôture, comme il le dit aussi aux carmélites de Cadix :

Il y a beaucoup de couvents et de monastères de par le monde, qui ont cette union spirituelle avec nous. Ils partagent avec nous leurs biens spirituels, qui sont si nombreux, et nous, nous les faisons participer à notre travail apostolique. C’est pourquoi je me sens parmi vous comme un frère avec ses sœurs.

Il commença sa visite des couvents en rencontrant les religieuses cisterciennes d’Alloz, dans un simple entretien. D’emblée, il leur expliqua que les fidèles de l’Opus Dei n’étaient pas des religieux ; ils répondaient à un appel particulier de Dieu, si bien, poursuivait-il, que je ne dis pas que je vous envie, parce que ma vocation est celle d’un contemplatif en pleine rue. Puis il les mit en garde contre les dangers d’un affaiblissement de la discipline religieuse, avec beaucoup d’insistance : Mère Abbesse : force ! force ! force ! Abbesse, fermeté ! Un dialogue qui passait du sourire aux larmes.

À Madrid, il se devait de saluer les augustines récollettes du monastère de fondation royale de Sainte-Isabelle dont il avait été aumônier. Cette église avait été la proie des flammes pendant la guerre, mais les murs, l’autel et la table de communion des moniales évoquaient en lui des souvenirs très intimes.

Après la longue rencontre du Père avec le Carmel de Coïmbre, qui a été relatée, celui-ci, lorsqu’il se trouva à Pozoalbero, put, malgré un emploi du temps chargé, faire une rapide escapade à Cadix. Le 10 novembre, il y rendit visite à un couvent de carmélites déchaussées. Alors qu’il était à La Lloma, près de Valence, il en fit autant au Carmel de Puzol, au milieu de ses orangeraies. À chaque fois il complimentait les sœurs et les remerciait de leur amour pour l’Église

Vous êtes le trésor de l’Église :

L’Église resterait aride sans vous, et nous ne pourrions pas dire : tirez avec joie l’eau de la fontaine du Sauveur. C’est ici que vous tirez l’eau qui vient de Dieu, pour que nous puissions transformer la terre desséchée en un verger rempli d’orangers. Sans votre aide, nous ne ferions rien ; c’est pourquoi je viens vous remercier […]. Soyez bénies mille fois !

Son dernier entretien de catéchèse aux sœurs cloîtrées eut lieu chez les clarisses de Pedralbes, à Barcelone. Accueilli dans l’église par les sons joyeux de l’orgue, il passa au parloir, près de la chapelle du Saint-Sacrement, leur avouant qu’il venait là pour apprendre, non pour enseigner. Elles écoutaient avec un silence recueilli ce qu’il leur disait : Les vocations ne vous manqueront pas s’il n’y a pas en vous d’embourgeoisement, si vous brûlez d’Amour, parce que l’Amour fait de grands miracles. Le temps passa comme un éclair. La conversation était agréable, et les sœurs riaient parfois de bon cœur. En les quittant, le Père leur demanda de lui faire l’aumône d’une prière, pour qu’il restât fidèle en ces moments où beaucoup ne l’étaient plus.

Le Seigneur fait les louanges de votre travail

Le 20 novembre, jour de son arrivée à Barcelone, une foule de Catalans l’attendaient, ainsi que des gens d’autres régions d’Espagne et quelques personnes venues d’autres pays. Pendant dix jours, ce furent des réunions ininterrompues, dans des centres sportifs, des auditoriums, des centres de rencontres, des collèges et des écoles d’agriculture. Sa première visite fut pour Notre-Dame de la Merci, patronne de la ville.

Comment sanctifier le travail et les affaires ? Tel fut le thème majeur de ses entretiens. Il voulait dire aux gens de cette région industrieuse que souvent l’effort réalisé ne s’avérait pas authentiquement chrétien si l’on ne recherchait que l’argent. Il aborda ce sujet dans l’auditorium de l’Institut d’Études Supérieures de l’Entreprise (I.E.S.E.). Il y avait là des professeurs et des chefs d’entreprise, des financiers et des hommes d’affaires. Le Père apparut sur l’estrade, un livre entre les mains, d’où dépassaient des bandes de papier en guise de marque-pages. À peine les eut-il salués qu’il avoua son ignorance crasse en matière de finances : Quand je vois plus de trois sous à la fois, j’ai le tournis. Certains vous regardent avec méfiance, et d’autres critiquent ceux qui parmi vous sont dans les affaires. Mais c’est le Seigneur qui recommande votre travail. Jésus dit là-dessus des choses très amusantes.

Cela dit, il ouvrit le livre, qui n’était autre que le Nouveau Testament, au chapitre XIX de saint Luc. Un homme de haute naissance, avant de partir en voyage dans des terres lointaines, remit une certaine quantité d’argent à chacun de ses serviteurs pour qu’ils la fassent fructifier et qu’à son retour ils la lui rendent avec les intérêts. N’est-ce pas là une affaire ? Une modeste affaire ; de celles que vous n’aimez pas faire. Mais en fin de compte, c’est une affaire. Et le Seigneur loue celui qui l’a faite. Je ne puis faire autrement que de vous louer aussi.

Et le Père continua à citer les affaires dont parlent les Évangiles. Saint Mathieu qui s’y connaissait vraiment en matière d’argent, parle du trésor caché. L’homme qui le trouve, le cache à nouveau et vend aussitôt tout ce qu’il a pour acheter ce champ où il l’a trouvé. Voilà une affaire sûre !

Juste après, saint Mathieu raconte la parabole de la perle d’un grand prix. À peine un négociant en quête de perles fines l’eut-il vue, que fou de joie, il vendit tout ce qu’il possédait et l’acheta, car il savait qu’il risquait de ne pas retrouver de sa vie une perle aussi précieuse.

Puis le même évangéliste parle d’une autre affaire : la pêche. Une affaire toute relative, car le filet ramasse toutes sortes de poissons, bons ou mauvais, et ces derniers, il faut les jeter.

Le Père laisse alors l’humour avec lequel il a commenté les paraboles, pour se faire sérieux :

Le Seigneur loue vos affaires. Mais si vous ne mettez pas de l’amour, un peu d’amour chrétien, si vous n’ajoutez pas le désir de faire plaisir à Dieu, vous perdez votre temps.

L’Évangile à la main, il parla des difficultés dans les affaires, de la concurrence déloyale… Qu’est-ce qui empêche un homme d’affaires de s’engager à vivre une vie vraiment chrétienne ? Ne sera-ce pas la peur ou le respect humain ? Il commenta l’histoire de Zachée, un homme très riche mais de petite taille, qui, sans craindre le ridicule grimpa en haut d’un arbre pour voir Jésus…

Le Père possédait le « don des langues », se faisant entendre de tous, un don que Dieu lui avait accordé, approprié au charisme de quelqu’un devant prêcher l’appel universel à la sainteté dans l’exercice de toute profession honnête.

De retour à Rome

Le 30 novembre 1972, le Père était de retour à Rome. Sa résistance physique avait été soumise à rude épreuve par ses continuels déplacements en Espagne et au Portugal et par le rythme de travail exigeant. L’énergie qu’il déployait dérivait de son zèle apostolique, et les fruits devaient s’en faire sentir à l’avenir, car la plupart des entretiens catéchétiques avaient été filmés, grâce à la prévoyance de don Álvaro. Ainsi la voix et la personne du Père seraient-elles présentes, lorsqu’on projetterait ces films par la suite.

Extrait du chapitre 24 du livre de Vazquez de Prada, Le fondateur de l’Opus Dei. Tome III, Les chemins divins de la terre, aux éditions Le Laurier et Wilson&Lafleur, pages 655-669